dimanche 18 février 2018

qui déménage?


Déménager déchire. Vous participez à la vie politique, culturelle, affective, familiale, associative, urbaine, par mille fils ténus ou solides. Certains se tendent mais ne rompent point avec l’éloignement géographique. D’autres ne tiennent que par la proximité. Un simple changement de quartier, quelques stations de métro, provoque un bouleversement de vos cercles et de vos réseaux. Ce n’est pas pareil de toquer à la fenêtre pour une tasse de café et de téléphoner à un ami qui habite à quatre stations de métro, une demi-heure à pied, vingt minutes en autobus. La retraite vous arrache au réseau professionnel et on se revoit et on se téléphone, mais on ne se téléphone pas et on ne se revoit pas. Les relations les plus fortes résistent. La toile retisse des rapports disparus, mais il suffit d’une panne de réseau, d’un incident informatique pour que l’ombre d’une relation perdue et retrouvée se dissipe.

Si vous restez dans le même pays, les préoccupations proches disparaîtront, resteront les récits partagés : une élection présidentielle, un massacre incongru, des migrants et des scandales sexuels. Une poubelle qui déborde et pue à l’angle de la rue Richomme et de la rue des Poissonniers ne dérangera guère au-delà d’une cinquantaine de mètres et votre grand-père qui habite Biarritz qui se plaint d’un trottoir défoncé aura du mal à partager vos malheurs olfactifs. Les incidents locaux freinent les conversations.

Quand je discutais sécurité, mixité sociale, communautarisme, prière de rue, zone d’éducation prioritaire, à la Goutte d'Or, j’avais le sentiment peut-être erroné, d’évoquer des idées, des difficultés, des conflits qui pouvaient être compris bien au-delà du périmètre. Et aujourd’hui, dans la ville de Biarritz, dans le Pays Basque, j’ai le sentiment de vivre dans un pays étranger, où je peine à faire partager mes préoccupations à mes amis qui ne cohabitent pas et mes inquiétudes à mes amis proches.  

Je lis les activités des élus, Vincent Bru, modem et en marche, Max Brisson, sénateur. Max Brisson, sénateur de la nation, passe beaucoup de temps et d’énergie pour que la ville de Bayonne puisse utiliser une monnaie locale l’eusko, un eusko, un euro, une monnaie qui ne s’accepte que par un millier de Basques sur trois cent mille et qui paraît-il permet d’acheter local, comme si je n’achetais pas local un fromage de chèvre, du vin des Pyrénées, des piments d’Espelette, en les payant en euros. Vincent Bru, député de la nation, visite dans les prisons les prisonniers basques condamnés pour activités terroristes en bande armée et demandent leur rapprochement de leur famille, sans dire un mot de leurs victimes. Les deux défendent l’officialisation de la langue basque alors que son enseignement est déjà largement subventionné par les fonds publics. Avant eux, les élus socialistes se comportaient comme des élus cantonaux, jamais un mot sur les problèmes nationaux ou internationaux, jamais un mot sur l’Europe. Elles se présentaient comme des «élues du territoire ». Leurs remplaçants suivent leurs traces. En échange d’un soutien national, accompagnez nos engagements indigènes.

Dans les frontières de l’hexagone, les clivages politiques portent sur les réformes du droit du travail, les nouvelles mesures éducatives, l’accueil des migrants, les relations avec l’Europe. Pas au Pays Basque. Ici règne l’unanimité sur la langue basque, sur l’eusko, sur le rapprochement des prisonniers et sur un communautarisme bruyant ou silencieux. On ne discute pas de l’identité, elle est naturelle. Essayez de parler tennis de table dans les gradins d’une finale de coupe, vous comprendrez. Le Pays Basque se divise en supporters et en touristes.

De ce fait de nature, de cette essence authentique, de ces politiques qui s’appuient sur les paysages et sur les troupeaux, on ne discute pas. Au conseil municipal, les tensions sont vives sur l’aménagement des plages, sur le stationnement, sur le financement de la cité de l’océan, sur le statut de palace de l’hôtel de l’impératrice. Mais sur le fait national, sur l’ancrage par la langue, le territoire, le  nom de famille, sur l’idée qui partout ailleurs serait nauséabonde que les logements doivent être réservés aux autochtones, on ne discute pas. On ne discute pas de la couleur du ciel, la beauté des enfants, la basquitude. L’identité coule dans le sang, n’est pas soumise  à raisonnement. Tu n’es pas basque parce que tu ne comprends ce que c’est d’être basque. Tu es basque si tu comprends ce que c’est d’être basque. Il ne suffit pas de parler la langue. Tu peux être chanteur, écrivain ou sculpteur basque, si tu n’éprouves pas ce sentiment qui monte de la terre basque, tu perds ta qualité de basque.



Le drapeau basque recouvre le pays comme une chape de plomb.

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