dimanche 4 février 2018

david et goliath


David et Goliath.

Les vagues de l’histoire et du hasard, du collectif et de l’individuel, en se retirant, m’ont abandonné sur une plage du Pays Basque. Dans un pays où la crue du nationalisme monte irrésistiblement. C’est un pays fort agréable, la mer, le soleil et la pluie, les festivals et la musique, les couchers de soleil. Il fait bon y vivre et s’y promener à condition de rester touriste. Étranger. Je ne supporte pas d’être touriste et d’être étranger. Je n’aime pas les vacances à cause de ce sentiment de vacuité extrême. Les hommes et habitations réduits à la situation de décor pour photos souvenirs.

Donc j’interviens. J’écris, je parle, j’organise des réunions, je lève le bras dans des meetings, et quand on me répond que je suis un étranger, je répète que je suis basque parce que telle est ma décision et que ceux qui me désignent comme non-basque révèlent par leur insulte leur soutien à un nationalisme d’exclusion.

Je ne fais qu’appliquer ici une prise de position qui m’est chère, qui m’est indispensable pour vivre. Le minoritaire éclairé. Le bonze qui s’immole  parce que les flammes de l’essence sont le dernier argument. Le suicide de Walter Benjamin ou de Stefan Zweig, mais quand ils se sont suicidés, ils étaient des écrivains connus, si je me suicidais, et je ne vous cache pas que l’idée m’a effleuré, un suicide comme arme contre les intégristes religieux ou nationaliste, étant donné ma notoriété limité, les effets seraient minimes. Une autre solution serait l’exil, comme James Joyce contre les crispations irlandaises, ou Romain Rolland contre la folie guerrière. Mais je me retrouve alors dans la même difficulté. D’une part, si je m’exilais, à Dublin ou à Trieste, je n’ai pas l’impression que la nouvelle frapperait beaucoup d’esprits. Et puis, déménager à mon âge…

J’ai souvent regretté les situations extrêmes. Un mot de travers, une parole interdite et l’auteur se retrouvait en prison ou parfois même fusillé. Souvent même pour rien du tout. Là, j’aurais été dans la liste des victimes du nazisme ou du stalinisme. Tout ça c’est terminé. Les œuvres sont censurés, les auteurs  hurlent, mais le sang ne coule pas. J’aurais rêvé rétrospectivement d’avoir été abattu par un commando de l’IRA quand j’écrivais des livres sur l’Irlande, ou par un commando de l’ETA quand j’écrivais sur la terreur basque. Malheureusement, comme je suis athée, que je ne crois pas à la survie après la mort, je ne n’aurais pas pu assister à ma gloire éphémère, aux discours éplorés. Quant à recevoir une balle dans le genou pour quelques exemplaires vendus de plus, j’hésite.

De là à jouir de ma solitude politique, il n’y a qu’un pas. Vite franchi. Il faut être logique. Il faut être conséquent. Je ne peux pas à la fois jouir de ma solitude politique et reprocher aux autres de ne pas s’engager. Certains, dont je ne suis pas, dénoncent la passivité des masses, le renoncement. Si j’arrivais à entraîner trop de gens dans mon combat, je ne serais plus seul et ce serait une catastrophe.

Quand on m’applaudit dans une réunion, je me demande quelle bêtise j’ai pu dire. Quand on me siffle, je retrouve mon calme. Ce plaisir que j’ai d’être minoritaire, par définition, ne peut pas être partagé. Si  trop de personnes me soutiennent, je perds le plaisir de l’ermite. J’oubliais, mon second prénom est David.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire