vendredi 29 janvier 2016

axoa


Je suis assis sur un banc de bois, face à la mer, j’entends la Shoah commandée par un client à l’autre bout de la table. Un spasme me pinça l’estomac. J’avais entendu parler de conflits armés, quelques centaines de morts de part et d’autre de la Bidassoa, mais de Shoah, jamais. J’ai respiré un grand coup l’air marin, me suis penché vers l’invraisemblable. « Je n’ai pas bien entendu, vous avez dit Shoah ? Non, monsieur, j’ai dit axoa, l’axoa est un plat basque, traditionnel, bien connu, familier. Une espèce de ragoût de veau parfumé de piments d’Espelette. Passé au hachoir ou à la moulinette, mijoté, servi à la cuillère ou à la louche. Mais vous vous rendez compte de comment ça se prononce, votre plat traditionnel ? Parmi tous les touristes, nombreux à Biarritz et sur la côte basque, il doit y avoir des rescapés, des descendants, ou simplement des préoccupés ? Vous n’y avez jamais pensé ? Mais monsieur, répondit l’inconvenant, l’axoa est un plat basque consommé plusieurs générations avant que la solution finale fût même envisagée. Donc, c’était plutôt aux historiens de trouver un autre nom qu’un plat basque traditionnel. C’est toujours comme ça, depuis la nuit des temps, le nom le plus ancien l’emporte sur le nouveau. Sinon, on ne s’en sort pas. Vous imaginez que le goulag se soit nommé le goulasch. C’est d’ailleurs un bon exemple, parce que le goulasch est une espèce de ragoût de bœuf qui rappelle par sa recette l’axoa. Chaque fois qu’un voyageur, un randonneur, un cycliste le long du Danube, s’arrête devant un restaurant et commande un goulasch, un client russe ou bulgare ou hongrois ou ukrainien, poserait les mêmes questions, il dirait, l’air effaré, vous avez dit goulasch ? C’est au suivant de s’adapter.

jeudi 28 janvier 2016

le local est universel


Chaque fois que j’introduis la question de l’identité dans la bataille de l’EPCI, je provoque des réactions négatives. Je souhaite m’expliquer. Pour moi cette bataille de l’EPCI n’est ni mineure, ni locale. Elle fait partie des combats qui se mènent partout contre les replis identitaires.

     Dans le Pays basque, des abertzale (patriotes) demandent que les sept provinces du territoire soient réunies en un seul pays, indépendant si possible, autonome en attendant. Comme en Ecosse, comme en Catalogne, comme au Québec. La particularité du Pays basque est que pendant deux générations, des patriotes plus intransigeants que les autres, des etarras, voulurent imposer cet objectif par la violence armée. Comme en Corse, comme en Irlande. Défaits, fatigués, ils renoncèrent aux armes et poursuivirent leur objectif par d’autres moyens, légaux. Ce renoncement leur permit d’accéder au pouvoir en Irlande du Nord et en Corse, deux régions où les partis traditionnels (gauche, droite, gauche travailliste ou socialiste, droites conservatrices) furent éliminés et marginalisés.

     Après avoir renoncé au raccourci de la terreur, les abertzale veulent contourner l’obstacle de leur isolement en se portant au premier rang d’un projet incongru, l’EPCI, une structure administrative correspondant aux frontières historiques. Cette demande a été initiée par les élus socialistes qui ont obtenu du ministère de l’intérieur un projet regroupant toutes les communes du territoire (EPCI). Les adversaires de ce projet pointent l’impréparation, le chaos administratif et fiscal qui se dessine. Ils ne veulent pas prendre le risque d’un affaiblissement durable de tous les projets de développement sur lesquels ils ont été élus.

     On me dit qu’il ne faut pas introduire dans cette bataille la question identitaire parce que partisans de l’EPCI et adversaires ont en commun l’amour du Pays basque. Dans ce combat, chacun s’avance masqué : les abertzale voient dans l’EPCI une marche vers la reconnaissance politique du territoire. Les élus socialistes et républicains rusent avec les abertzale en reprenant leurs objectifs. Les adversaires du nationalisme basque mènent le combat au nom de la raison gestionnaire.

Je souhaite qu’on n’esquive pas ce qui est pour moi la question principale : je ne connais pas d’exemple où la confusion entre ethnicité et gouvernance n’a pas conduit à de graves et durables meurtrissures. J’aime le Pays basque, mais je l’aime sans frontières. Si l’on donne le pouvoir aux constructeurs de frontières, ils introduiront dans tous les domaines, économie, culture, éducation, sports, des clivages épuisants, des discriminations purificatrices. Ce Pays basque qui est si fort de son ouverture risque à terme de devenir une réserve linguistique, un grand parc national pour touristes. La langue basque, actuellement portée par un militantisme bénévole, s’étiolera. On n’aura plus besoin de l’apprendre puisqu’elle deviendrait langue co-officielle. Dans les cafés, les anciens combattants clandestins devenus guides de ce musée, raconteront leurs exploits aux enfants.

La culture et la langue basques sont actuellement protégées et portées par leur confrontation permanente avec l’altérité. Dans la ville de Biarritz, les élus abertzale ont été responsables de la culture : ils ont développé la culture basque, la langue a été soutenue, les ikastolas se créent et en même temps, les événements internationaux ont eu droit de cité. Mon hypothèse est que les abertzale radicaux voient ces succès comme un crève-cœur. Comment la langue et la culture basque peuvent-elles se développer sans la nation rêvée?

Nous devons combattre ces délires identitaires de toutes les manières. En montrant que le fonctionnement d’un tel monstre sera impossible. En rappelant notre inflexible opposition à l’ethnicisation de la politique. Une dénonciation uniquement comptable ne pourra pas freiner la déraison nationaliste.

vendredi 22 janvier 2016

le poète et la magistrate


FIPA janvier 16. Deux documentaires : le poète et la magistrate. Au Mexique, le fils d’un poète est assassiné, un des nombreuses victimes des bandes criminelles. Le poète prend la tête d’un mouvement contre la criminalité. Au Guatemala, la magistrate lance des enquêtes contre la corruption et les crimes contre l’humanité.

     Dans les deux cas, les protagonistes se partagent ainsi : des personnages hors-pair, des héros solidaires, d’une part, d’autre part un peuple de victimes, qui pleure et qui applaudit ces héros. Zorro et les paysans pauvres.
     Ainsi se manifeste la crise : une régression vers l’héroïsme solitaire. Ni le poète ni la magistrate ne manifestent une quelconque vision du monde. Juste du courage contre les méchants.  

jeudi 21 janvier 2016

Daniel Cohn Bendit et Alain Finkielkraut


Vu l’émission « des paroles et des actes » hier jeudi 21 janvier, qui opposait Cohn-Bendit et Alain Finkielkraut. Le premier avait confiance dans les capacités des peuples à affronter les changements. Le second transpirait littéralement de peur. Il est éduqué, intelligent, capable de raisonnement, mais il a peur. Cette peur de l’autre, cette peur du changement, traverse l’histoire. De grands esprits des îles Britanniques pétaient de trouille devant les catholiques irlandais. Des intelligences capables et inventives se mettaient à trembler de trouille quand on leur parlait des Juifs. Aujourd’hui, des élites intellectuelles paniquent devant l’invasion annoncée de l’Islam. Comment discuter avec la peur ? Comment raisonner avec la peur ? Daniel Cohn-Bendit avait raison d’être aimable avec Alain Finkielkraut. Il lui caressait la main, il le flattait, comme on rassure un enfant qui craint l’obscurité. C’est la bonne méthode. Personnellement, je ne sais pas faire.

mercredi 20 janvier 2016

ne pas excuser, comprendre.


Manuel Valls envoie les intellectuels dans les cordes : chercher à comprendre, c’est commencer à excuser. Il n’en croit pas un mot. De même que Georges Marchais qui stigmatisait les intellectuels « derrière leur bureau » ; Il n’en croyait pas non plus un mot. L’objectif de ces insanités est de montrer que les énonciateurs sont du côté du peuple, qu’ils le comprennent. Contre les élites.

Ceci est un exemple de l’erreur de Valls. Je cherche à comprendre, ça ne l’excuse en rien.

lundi 18 janvier 2016

Angela Davis 2


Cher Alain, notre désaccord sur Angela Davis ne porte pas sur des informations différentes, mais sur la politique. Trop de gens à gauche, parfaitement réformistes, sont fascinés par des héros et héroïnes spectaculaires. Hugo Chavez, Che Guevara, Bobby Sands, et Angela Davis. Aux États-Unis, l’opposition révolution/réformes était entre les Black Panthers et le mouvement pour les droits civiques. Angela Davis, communiste et révolutionnaire, a choisi les Black Panthers. Elle a défendu les droits des Noirs et loué le système Castro et ses centaines d’emprisonnés politiques. Je réserve mon admiration à Luther King, qui a combattu les Black Panthers, à Mandela, qui a toute sa vie combattu la lutte armée et soutenu des solutions de compromis. A John Hume, le président des socialistes d’Irlande du Nord, qui s’est battu contre l’IRA et a obtenu un processus de paix. Si tu veux faire une chanson, le Che est un meilleur sujet que John Hume. Et Angela Davis un meilleur sujet que Martin Luther King. Nous ne faisons pas de chansons, nous nous battons pour une politique réformiste contre la gauche de la  gauche dont l’ennemi principal est le réformisme. Dans cette bataille, Angela Davis est en face. Quant à la phrase « la France n’est pas innocente », il vaudrait mieux prudemment ne pas la montrer aux victimes des attentats. Ils étaient tous la France.

mgr Aillet



« Tweet de Mgr Aillet : L'Etat prétend protéger les citoyens contre Daech et s'engage dans une campagne pro-IVG condamnant des innocents à la violence : illisible ! »

Ainsi une femme qui avorte est assimilée à une djihadiste. Si un imam avait émis un tel jugement, qu’aurions-nous entendu de la part des défenseurs intransigeants de la laïcité !

Que Mgr Aillet profère de telles monstruosités, c’est son affaire. Que les catholiques de son diocèse de Bayonne ne réagissent pas m’apparaît comme une complicité par passivité, par manque de courage. Il faut le répéter : ce n’est pas le bruit des monstres qui les porte au pouvoir, c’est le silence des innocents.

dimanche 17 janvier 2016

angela Davis


 

Deux militants socialistes de Biarritz ont exprimé une admiration pour Angela Davis interviewée par le Monde. Voici ma réaction .

Merci Alain de diffuser l'entretien avec Angela Davis. Permets-moi de ne pas partager ton admiration. En voici quelques raisons. 1. Les Black Panthers qu'elle a soutenus étaient l'équivalent nord-américains des Brigades Rouges et des groupes terroristes en France, en Italie, en Allemagne. C’était un mouvement néo-fasciste, très antisémite, militarisé. Ils étaient condamnés et combattus par les mouvements noirs modérés, le mouvement des droits civiques de Martin Luther King. Ils ont eu pour conséquence de couper une partie des Noirs de la société américaine et de faire reculer l'acquisition de leurs droits. Comme les mouvements terroristes dans nos sociétés. Je m'étonne de cette admiration sans nuance à l'égard de ce que la gauche socialiste a toujours condamné ici. 2. En tant que communiste, elle a toujours soutenu sans nuance Cuba et l'URSS. Elle ne s'est jamais posé de question, par exemple sur le fait que dans une société "socialiste" comme à Moscou, les étudiants Noirs étaient soumis à de constantes insultes, qu'ils rasaient les murs et écrivaient à leurs amis, si vous voulez étudier, n'importe où mais pas à Moscou.  3. Sur l'actualité et les attentats d'aujourd'hui, elle fait partie de cette gauche qui trouve des "justifications" aux attentats dans la politique française.  Comment pouvez-vous partager cette phrase : « la France n’est pas innocente » à propos des attentats ? Vous m'excuserez donc de ne pas partager votre admiration. Amitiés.

jeudi 14 janvier 2016

racismes


Quand nous discutons racisme ou islamophobie, nous supposons que la racine de ces sentiments se trouve dans le comportement des Musulmans, leur mode de vie, le terrorisme bien sûr. Pour lutter contre l’islamophobie, il faudrait intégrer les Musulmans, former des imams à la laïcité républicaine, leur apprendre les règles. Quand ils auront appris, il n’y aura plus de racisme anti-arabe. Mais avant le terrorisme des djihadistes, il n’y avait pas de rejet des Musulmans dans la société française ?

Est-ce le comportement des Juifs qui explique l’antisémitisme en France au moment de l’affaire Dreyfus ? Est-ce le comportement des Juifs qui explique l’antisémitisme en Allemagne dans les années trente ? Quand ils étaient pauvres et vivaient dans les ghettos, on dénonçait leur saleté. Quand ils s’enrichissaient et s’intégraient, on dénonçait leur cupidité, ils étaient partout…Quand les Musulmans achètent des palaces et des châteaux, ils provoquent autant de haine les petits délinquants dans les quartiers.

Il faut mettre hors d’état de nuire les terroristes, qu’ils soient arabes ou basques. Les lois de la République doivent être respectées par tous. Mais la lutte contre le racisme commence par  accepter l’idée pas forcément agréable que le racisme est une pathologie des racistes et qu’il ne dit rien sur les personnes ciblées. Qu’il n’a jamais de « raisons » objectives. La misogynie et le sexisme sont des maladies masculines, pas dus au comportement des femmes. L’homophobie est l’expression d’une terreur masculine, elle ne s’explique pas par le comportement homosexuel. Le racisme actuel exprime une grande terreur devant les changements du monde.

Qui oserait dire que l’antisémitisme chez les Arabes s’explique par le comportement des Juifs ? Or, c’est d’abord une affaire des Arabes, qu’ils doivent combattre comme un sentiment à eux. Pour le racisme anti-arabe, on n’arrête pas d’oser.

 

vendredi 8 janvier 2016

républicains de Barbès

On est plus républicains à Barbès qu'à Bayonne



Chère Sylviane Alaux, chère Colette Capdevielle, vous allez manifester demain pour le rapprochement des prisonniers basques. Vous refusez, et je vous en sais gré, la déchéance nationale qui introduit des différences entre citoyens français. Mais qu’est-ce qui vous prend alors d’établir de telles différences entre « basques » et « français ». Un prisonnier basque condamné pour avoir tué un gendarme aurait-il des privilèges par rapport à un prisonnier « français » emprisonné pour trafic de drogues ? J’ai habité vingt-cinq ans dans le quartier de la Goutte d'Or. Jamais ses habitants, ses élus, ses associations n’ont manifesté pour le rapprochement des terroristes islamistes de leur famille. Il a fallu que je vienne habiter à Biarritz  pour constater que les frères basques des djihadistes obtiennent une solidarité ethnique que la population de la Goutte d'Or refuse aux terroristes.

ETA et EI.


Un djihadiste attaque le commissariat de la rue de la Goutte d'Or. Le quartier est bouclé, les images familières occupent les écrans pendant tout ce 7 janvier 2016. Des explosifs de l’ETA sont découverts en plein centre ville, face à la poste, deux personnes sont arrêtées. La télé régionale consacre trois minutes, les chaînes nationales ignorent. Un fourgon de police stationne devant l’immeuble, la rue de la poste n’est pas fermée, les gens circulent. La ville reste tranquille, les politiques se taisent, les habitants ne s’inquiètent pas. Il y avait de quoi faire sauter le quartier. Il faut bien se résigner : un danger familier est moins dangereux qu’un danger étranger. Mais en quoi les uns et les autres sont-ils plus ou moins français ? Les etarras et leurs explosifs refusent d’être français, ils veulent être indépendants. Ils brûlent le drapeau français et refusent de chanter la Marseillaise. Ils abattent des gendarmes. Les djihadistes brûlent le drapeau français, refusent de chanter la Marseillaise et tuent des gendarmes. Ceux-là obtiennent le soutien de députés socialistes, de syndicats et d’associations du Pays basque. Ceux-ci sont condamnés unanimement. Cherchez la différence.

lundi 4 janvier 2016

jihadistes basques


Pascal Ory : « le profil type du jihadiste fait écho à celui des terroristes occidentaux antérieurs : même choix radical que le militant totalitaire ». (libé, 4 janvier 16). Depuis le début du siècle, j’ai moi-même constaté, dans mes entretiens avec d’anciens etarras ou républicains de l’IRA, que le nouveau terrorisme islamiste a joué un rôle dans l’abandon de la lutte armée. Les nouveaux terroristes leur tendaient un terrible miroir, un miroir grossissant, mais pas un miroir déformant. Ils n’aimaient pas être les frères de ces nouveaux barbares.

         Je ne suis pas certain que ce rapprochement soit bien accepté. Essayez d’aller manifester avec une banderole « amnistie pour les jihadistes basques », et vous me raconterez.