jeudi 26 mars 2015

encore le peuple

Le peuple

Ce fut répété tant de fois qu’il faut un cerveau de crocodile pour ne pas le croire, la gauche a abandonné le peuple et donc le peuple a abandonné la gauche. Elle a abandonné le peuple des invisibles, ces petits blancs exilés dans les résidences négligées par les services publics, elle ne s’occupe plus que des minorités : les immigrés, les femmes, et ne recherche plus que l’appui et l’amour des bobos, des élites, des intellectuels qui squattent les universités, les médias, les arts, les banques et les bancs européens. L’antiracisme a pris la place de la politique. Les élites gouvernent, les petits blancs souffrent et les minorités visibles vendent de la drogue et s’enrichissent. Tel est le secret du succès du Front national qui ne s’occupe que du peuple, que des petits Blancs.

Pour croire l’incroyable, il faut d’abord rendre les armes, accepter l’hypothèse, prendre au sérieux le postulat. Il faut aussi se retirer à l’intérieur de l’hexagone, et s’écraser le nez contre le guidon. Ignorer l’histoire, refuser la géographie. En Espagne, en Grèce, des mouvements populaires connaissent le succès sur des orientations de gauche. Au Royaume-Uni, au Danemark, en Suède, en Pologne, en Hongrie, des mouvements de droite et d’extrême-droite sont populaires et leur électorat a une forte composante ouvrière. Dans le passé point trop éloigné, des partis fascistes n’ont jamais abandonné le peuple qui les a portés au pouvoir, sauf après la défaite, là le peuple s’est senti un peu abandonné. Des partis communistes ont accédé au pouvoir avec l’appui du peuple et c’est après leur victoire que les peuples se sont sentis un peu abandonnés. Les nationalismes régionaux émergent ici dans les régions pauvres, là dans les territoires favorisés, comme le Pays basque, l’Ecosse, la Catalogne, l’Italie du Nord.

Dans cette extrême diversité de situation, prendre ces réponses simples et péremptoires, pour des lanternes permet peut-être de rassurer les inquiétudes mais pas d’éclairer l’avenir.

Nos  pays démocratiques se sont construits sur l’universalité des droits. Un état souverain qui n’accorde ces droits qu’à une partie de la population maintient la société dans la révolte permanente car rien n’est plus urgent pour ces orphelins de la citoyenneté que de s’assurer la protection d’un souverain.

L’Irlande, pardonnez l’exemple, fut un excellent terrain d’expérience de ces jeux mortifères. D’abord soumis à la domination d’un État protestant, les catholiques étaient exclus du droit de vote, de tous les lieux de pouvoir, tous réservés aux Anglicans. L’Ecosse et le Pays de Galles étaient aussi soumis que l’Irlande, mais leur appartenance à la religion d’État permit une intégration refusée aux Irlandais. L’Irlande accéda à l’indépendance au prix d’une longue lutte dont la dernière étape fut militaire. Ces luttes aboutirent à la création de deux Etats avec un adjectif : un État catholique au sud, aujourd’hui République d’Irlande, un État protestant au Nord, aujourd’hui province du Royaume-Uni. Dans l’État catholique, la minorité protestante apprit très vite qu’elle n’était pas la bienvenue dans un pays où l’éducation, l’État, les lois, les mœurs, étaient dominées par une charia catholique. Elle prit le chemin de l’exil. Dans l’État protestant du Nord, la minorité catholique fut maintenue pendant cinquante ans dans un statut d’infériorité et d’exclusion dont elle ne se sortit qu’au prix de luttes incessantes dont la dernière étape fut militaire.

Un État qui maintient l’exclusion d’une partie de son peuple sur une base ethnique organise un avenir de guerre civile. Des forces brunes en Europe et en France minent l’universalité des droits et cherchent à tatouer un adjectif sur les peaux citoyennes. Ces forces sont connues, elles se cherchent, se rassemblent parfois, s’opposent. Elles se rassemblent parfois en manifestations intégristes contre les droits des homosexuels, contre l’avortement. Elles désignent certains religions comme étrangères et inassimilables. Elles fouillent dans les menus des cantines, elles imposent le voile ou l'interdisent. Dans leurs manifestations les plus aiguës, elles massacrent. Elles s’arrogent le droit de définir l’identité.

Dans des situations difficiles, jaillissent spontanément des phénomènes de repli et d’hostilité à l’égard des autres qui deviennent des concurrents. Exclus des emplois, relégués dans des formations tronquées, enfermés dans des territoires stigmatisés, il ne reste plus pour manifester leurs aspirations que leur ADN. Émotions populaires spontanées, éternelles. Elles deviennent des forces de mort lorsque des partis, des institutions, des élites, les utilisent, les mobilisent pour leur pouvoir et leurs intérêts. Il y a peine à combattre les colères de la misère. Le combat politique doit porter sur ceux qui les utilisent.

Il y a urgence car désormais le Front national n’est plus seul à prôner la préférence nationale, à définir la nation comme un ensemble de chrétiens blancs hétérosexuels, à stigmatiser toutes les différences. Contre ces efforts, ne pas se laisser intimider par ceux qui nous accusent d’avoir « abandonné le peuple ». Ne pas abandonner le peuple ne consiste pas à se laisser porter par toutes les inquiétudes, les craintes, les rumeurs, les malaises. Cela consiste à respecter tous les citoyens, faire confiance à leur intelligence, refuser les compromis idéologiques, affirmer l’universalité des droits. Montrer et démontrer que les institutions sont généralement non discriminantes et combattre les discriminations réelles. Combattre les tendances à l’exclusion, au racisme.  


Pour le moment, la guerre civile se mène dans le ciel des idées et la France refuse massivement les tranchées. Raison de plus pour montrer ce qui va, ce qui va dans le sens du respect, de la solidarité, et combattre les dysfonctionnements. Sans laisser à personne le droit de nous imposer un ordre du jour qui nous est étranger.

lundi 23 mars 2015

le jambon et l'huître

Le jambon et l’huître

Il y a deux visions de Biarritz comme il y a deux France. L’une souhaite une ville ouverte au monde et à la modernité. Une ville qui accueille le festival des productions audiovisuelles, les films du monde latin, héberge un cinéma d’art et d’essai, un centre national de danse, des cafés philo, des universités, des associations où se discutent les grandes questions, manifeste contre l’intégrisme de l’évêque Aillet qui voudrait imposer la charia au vent du large, fait la fête en juin, de la musique toute l’année. Cette première vision sait qu’il faut aérer le jambon avant de le servir.

L’autre vision est portée par une population double : ceux qui désespèrent de s’en sortir et sont tentés par le repli protecteur. Et les autres, qui sont venus chercher sur la côte un dortoir de luxe et la trouvent trop agitée. Les festivals font du bruit, les fêtes empêchent de se garer, les logements sociaux doivent se construire ailleurs, il vaut mieux payer une amende que d’accueillir une population si différente qui génère de l’insécurité. Et Mgr Aillet a bien raison de défendre la famille traditionnelle parce que c’est la décomposition des structures traditionnelles qui envoient les jeunes surfeurs se droguer sur la plage. Le Biarritz de l’huître.

Ces deux visions, sans doute moins tranchées, se reflètent malgré tout dans les comportements politiques. Longtemps gouvernée par une droite retraitée, Biarritz s’est donnée une majorité municipale hors norme, alliance entre une droite ralliée aux logements sociaux, aux centres d’accueil pour les plus démunis, et une gauche moderne, soucieuse du développement économique de la ville.

Cette majorité a été reconduite aux élections municipales de mars 2014 contre un partisan de l’UMP sarkoziste, invisible dans les manifestations contre les intégrismes, associant logements sociaux et insécurité.

Voici que les projets de carrière viennent troubler les lignes. Le maire de Biarritz, partisan du vent du large, soutient aux élections départementales le candidat naphtaline. Il trahit sa majorité, il humilie ses alliés, et vend son âme pour un plat de lentilles.

Quand les différences sont claires et bien comprises, les citoyens s’engagent. Quand les intérêts personnels l’emportent sur les convictions, les citoyens se détournent.


vendredi 20 mars 2015

c'était le moment

hier soir, avec les amis, on avait un peu bu, ça m'a donné du courage. je leur ai dit, écoutez-moi, ce soir, comme on est bien ensemble, j'ai décidé de faire mon coming out. dimanche prochain, je vote PRG et PS.

mercredi 11 mars 2015

ascenseur

Les escaliers mécaniques, les tapis roulants, les ascenseurs, progressent et les montées le long des rampes s’archéologisent. Les fauteuils roulants, les valises à roulettes, les cannes appuyées, ont longtemps monté les escaliers de pierre à la gare de Biarritz. Pendant des années, les douleurs de la hanche, les essoufflements des asthmes et des emphysèmes ont réclamé des ascenseurs. Depuis 2013, des ascenseurs soulagent et protègent. Les lourdes valises, les poussettes, les paralysies, appuient sur -1 puis 0 et les colères rentrées ont cessé. Les bruits des bagages sur les marches de béton ont disparu. Les plaintes, les protestations, se sont calmées. Enfin Biarritz, la reine des plages, est pourvue d’ascenseurs. Alors que même à la Gare Montparnasse, la reine des gares, les escaliers mécaniques sont parfois en panne et des retraités hors-cadre abîment les coins cuivrés de leur valise Vuitton sur les rayures des marches en acier.

La gare de Biarritz est désormais silencieuse. L’eau tiède et les ascenseurs ont tué la musique. Les compromis, la paix négociée, le réformisme, la sécurité, épaississent les ennuis. Il faut des massacres, des accidents d’avion, les punitions des célébrités pour attirer l’attention. Des millions de piétons avancent, personne ne tourne les yeux, un piéton tombe, tout le monde regarde. Et comme les accidents, les massacres se raréfient, ceux qui restent sont des événements. Les films policiers et les séries catastrophes se substituent aux émotions vivantes. Désormais on ne se rappellera l’ascenseur que s’il tombe en panne.

vendredi 6 mars 2015

piqûre de rappel

B., universitaire nord-américaine, a interrompu sa grossesse parce que le bébé à venir était trisomique. Son assurance ne lui rembourse pas les frais médicaux parce que, dit l’assurance, l’interruption n’était pas un accident, mais un acte volontaire. B… fait un procès. Des frais de justice, des attentes, des récits répétés de ce qui a été pour elle un profond traumatisme.


Est-ce que tous ceux qui hurlent à la catastrophe, qui déplorent, qui condamnent, est-ce que de temps en temps, pas tout le temps, mais de temps en temps, une fois par mois par exemple, ou tous les six mois, pourraient d’une voix douce, mais ferme, sans crier, rappeler les protections dont nous disposons dans notre pays ?  

qu'est-ce qu'un habitant?

J’ai quitté le quartier

Quand j’habitais la Goutte d'Or, je sortais du métro Château-Rouge d’un pas militant, je notais les progrés, les stagnations, les reculs. Le chantier de la mosquée rue Polonceau en léthargie, la brasserie Barbès en finition, l’accès au métro dégagé. Et surtout, surtout.

De la rue des Poissonniers, à gauche, rue Richomme, une rue tranquille où sévissent les pisseurs. Une pisseuse, c’est une femme qui pleure pour un oui pour un nom. Un pisseur, c’est un homme qui pisse rue Richomme. Une fois sur deux, quand je passe, un homme pisse. J’ai mon discours prêt. Monsieur, partout, les pissotières gratuites vous tendent leur céramique. Ici, vous pissez sur les enfants des crèches, des maternelles, des écoles primaires. Très fort, très haut, bien articulé. Je leur fais honte.


Hier, je suis sorti du métro, je suis passé rue Richomme, un homme pissait contre un mur, je n’ai rien dit. Je ne suis plus un habitant de la Goutte d'Or. 

lundi 2 mars 2015

terrorisme

L’écrivain Erri de Luca vient d’être condamné pour avoir écrit que la LGV Lyon Turin « devait être sabotée ». Dans la pétition en faveur de l’écrivain, des intellectuels français disent  qu’il a été condamné pour ses « propos sur le sabotage du projet ». Ils ne citent pas le texte original.  

Dans la France d’après janvier 2015, des personnes ont été condamnées pour avoir soutenu l’assassinat de Charlie Hebdo et du magasin casher. Elles ont dit que les personnes assassinées l’avaient bien cherché. Pas de pétition des intellectuels signataires pour demander leur acquittement au nom de la liberté d’expression. Pas de solidarité avec les personnes condamnées pour des « mots ».

Pourquoi ?

Je connais la raison. Les mêmes ont signé hier pour Bobby Sands et les grévistes de la faim de l’IRA. Les mêmes n’ont jamais demandé le statut de prisonniers politiques aux auteurs des attentats en France contre les synagogues et les restaurants juifs à Paris.


Plus les attentats sont proches, moins on signe.