dimanche 31 août 2014

ce n'est pas fini

Regardez le monde. Étalez les cartes. Observez les territoires où l’on enterre des victimes, où l’on crie vengeance, où faire de la politique, c’est choisir dans quel camp on va mourir ou tuer. Des territoires où le pouvoir est au bout du fusil, où une cartouche vaut mille bulletins de vote.

Ailleurs, le pouvoir est décidé par des élections, il y a des lois et des prisons, des acquittements, des policiers poursuivis, des prisonniers libérés, des avocats, des journalistes qui ont le droit de dire ce qu’ils pensent sans risquer leur vie, des couples mixtes, hétéros, trans, qui se promènent dans les rues. Des injustices, de la précarité, des solidarités, Des luttes, des manifestations, des débats. Partout des débats. Et dans les assemblées, dans les réunions, on entend plus facilement ceux qui veulent nous convaincre que nous vivons toujours plus mal dans la pire partie du monde.

On voudra bien excuser ma préférence pour le second modèle. Je n’en vois aucun autre qui m’attire autant. Et qui attire autant les peuples qui en sont privés, qui attire autant les chimères des migrants et les rêves de ceux qui restent.

A l’intérieur de ce modèle, les différences sont fortes, mais il ne faut jamais oublier le socle pas si solide que ça qui tient la société, qui relie les citoyens les uns aux autres.

Ce modèle est menacé, d’abord par les forces politiques qui souhaitent un état pour une partie seulement des citoyens. Qui ont si peu confiance dans leur propre pays que toute ouverture est monde est pour eux mortelle. D’autres forces, beaucoup moins présentes aujourd’hui, qui considèrent que le système démocratique n’est qu’une variante de la dictature du grand capital.

Les partis républicains, qu’on appelle gauche ou droite, progressistes ou conservateurs, républicains ou démocrates, acceptent les règles du système et s’affrontent sur les questions d’égalité, de justice redistributive, sur les questions de société. Questions importantes, mais qui parfois s’estompent au point où les uns et les autres peuvent partager le pouvoir comme en Allemagne. C’est pourquoi les différences apparaissent moins clairement. Allons-nous regretter le temps où la politique était guerre civile, où les enjeux étaient clairs et les sociétés sombres ?

Les différences étant moins distinctes, il faut dramatiser des enjeux pour mobiliser l’électorat. Par facilité, par paresse, les politiques continuent de jouer à la guerre. Certains vont même jouer sur la peur, emprunter les craintes des extrêmes. Les uns et les autres font comme si les différences étaient fondamentales. La droite reprend à son compte les craintes devant les mouvements migratoires, confondent égalité des chances et procréation médicalement assistée. La gauche veut étrangler le grand capital, dénonce les organisations mondialisées. Pour le théâtre de la vie politique, chaque sujet doit ressembler à la dernière bataille, à un déchirement de la société, mettre en jeu l’avenir de l’humanité. Plus la société se lisse, plus il faut des agressivités théâtrales. Le succès des séries noires, des barbaries sur les écrans, est d’abord dû à leur exotisme : le nombre de victimes de violences diminue régulièrement et la pacification des sociétés doit se compenser par  un surcroît de tragédies. Le nombre des sujets qui clivent la société est en baisse constante, il faut donc dans les discours retrouver les cliquetis des armes pour attirer le chaland.

La crise du politique n’est pas due aux erreurs des uns et des autres, elle est constitutive de la période que nous traversons, et il faut espérer qu’elle durera longtemps, que le brouillage se poursuivra, car revenir aux clartés d’antan serait un retour à l’enfer.






mercredi 27 août 2014

Brumes

Contre les afflictions physiques et morales, des remèdes atténuent et endorment. Le lyrica, par exemple. Les cachets  m’embrument, je me réveille avec une gelée à la place du cerveau.

Sud-ouest 28 août. Michel Veunac est satisfait du nouveau système de prévention et de sécurité mis en place en juin sur le « front de la délinquance et des incivilités ». Police nationale, CRS, police municipale, BAC, sont désormais coordonnées. Il y a en tout 23 agents. Sont aussi prévus, un conseil local de sécurité et de prévention, des caméras de surveillance. Dans la nuit de vendredi à samedi, (23août), le maire a réalisé un tour de ville des « points chauds » de 4 heures à 7 heures du matin, Avec Louis Vial (conseiller municipal délégué à la sécurité) et Laurence Minier, commandant de police détachée à la tête de la police municipale.

Où est le volet prévention ? Y-a-t-il des médecins ou des soignants ? Des infirmiers spécialisés sur les différentes drogues ? Le maire a fait le tour des plages avec les forces de police, y avait-il d’autres conseillers municipaux, délégués à la jeunesse, au sport, aux loisirs ? Peut-être, mais ils ne sont pas mentionnés.

A la Goutte d'Or, classée Zone de Sécurité Prioritaire, Manuel Valls, quand il était ministre de l’intérieur, est venu visiter les dispositifs mis en place, les policiers, les CRS, la BAC... En principe, le classement en ZSP s’accompagne d’une politique de la ville, mais le ministre de la ville n’était pas là. Il y avait le préfet de police, le maire, Daniel Vaillant, le ministre de l’intérieur, Et dans les réunions du conseil local de sécurité et de prévention, les élus à la politique de la ville, les responsables de la politique de la ville restent étrangement silencieux. Parlent le commissaire, les policiers, et les habitants avides d’uniformes.


Contre les afflictions physiques et morales, des remèdes atténuent et endorment. Le lyrica, par exemple. Les cachets  m’embrument, je me réveille avec une gelée à la place du cerveau. 

vendredi 22 août 2014

refuges

       Pourquoi les sans-papiers ne trouvent-ils jamais refuge dans une mosquée, un temple ou une synagogue ?  Les pasteurs, rabbins et imams seraient-ils moins charitables que les curés ?

      

mardi 19 août 2014

sélection

Championnat d’athlétisme de Zurich. Les équipes ressemblent à la société française, plus que le gouvernement, plus que l’Assemblée nationale, plus que les conseils d’administration.

Ne cherchons pas loin la raison. Si pour accéder aux épreuves sportives de haut niveau, les candidats devraient passer les filtres des classes de prépa et des concours d’entrée aux grandes écoles, nos médaillés sortiraient tous des grands lycées parisiens. Ils seraient tous blancs, tous nés dans les bons arrondissements.


Comme disait Antoine Prost, si le vélo était une matière scolaire, vingt pour cent des jeunes ne sauraient pas monter à bicyclette.  

lundi 18 août 2014

biarritz goutte d'or


A la Goutte d'Or, les trottoirs étroits empêchent les terrasses. Il faut traverser le Boulevard pour lire le journal devant une tasse de café et un verre d’eau. A Biarritz, les terrasses tranquilles réduisent les trottoirs à un mince filet de bitume et la tranquillité des terrasses se paie de l’énervement des piétons, des parents avec poussettes, des chalands avec caddy.

A la Goutte d'Or, après onze heures, libération a disparu des kiosques. Au mois d’août, les kiosques ferment et sont remplacés par des vendeurs de brochures promettant la santé et le bonheur lumineux. A Biarritz, il faut réserver le journal.

A Biarritz, en été, la navette se remplit de touristes, de planches à surfer, de poussettes, d’enfants, de parents et de grands parents, d’étrangers qui demandent où descendre et les habitués qui occupent les places assises les renseignent avec ardeur. A la Goutte d'Or, les bus explosent de touristes, de caddies, de poussettes. Les touristes brandissent des plans, regardent les stations qui s’allument, rassemblent les enfants et ferment leur sac.

A la Goutte d'Or, les pharmacies débordent de produits éclaircissants. Les pharmacies de Biarritz explosent de produits bronzants.

A la Goutte d'Or, les escaliers du métro et de la butte sont durs aux miséreux. A Biarritz les rues montent et les trottoirs ondulent. A la Goutte d'Or, en haut des marches, les trottoirs sont plats, mais la foule gronde. A Biarritz, en haut des côtes, les trottoirs sont toujours gondolés et les poussettes s’écartent devant les cannes. Il faut disputer l’espace aux voitures volumineuses dont chaque roue est motrice. A la Goutte d'Or rien ne s’écarte devant personne, il faut jouer des coudes, regarder droit devant, ne pas s’écarter, mettre la canne en avant. Une lutte permanente pour avancer, pour arriver au but. A Biarritz, tout le monde est poli et bien élevé, sauf ceux qui ont un volant entre les mains. A la Goutte d'Or, les piétons sont aussi mal élevés que les conducteurs à Biarritz.

Les Biarrots qui habitent la Goutte d'Or veulent-ils s’échapper à l’étouffante tranquillité ? Les habitants de la Goutte d'Or qui passent leur loisir à Biarritz cherchent-ils un havre de paix ? Pas sûr. Si l’on veut s’énerver, qu’importe le quartier pourvu qu’on ait l’ivresse.


dimanche 17 août 2014

années

Lecture de « cent derniers jours » de Patrick McGuinness. La Roumanie, la pire des dictatures communistes.

Plonger dans les années, puisqu’il y en a beaucoup, on peut nager, on n’a plus pied dans tant d’années, une piscine pleine d’années, folles, tièdes, accueillantes. Se vautrer dans les années plutôt que de les traîner, un plein sac, lourd, même avec des roulettes.


Plus personne ne parle politique, directement, sur le gouvernement, les décisions prises. Le pire : l’indifférence. On ne dit pas, c’est bien, on ne dit pas, c’est mal, on pense à autre chose. Aux guerres en Afrique, à la frontière de l’Ukraine. 

traditions

Du côté de Biarritz, le haut de la saison touristique, voitures sur les trottoirs, feu d’artifice, brasier d’une foule qui reflue vers Hélianthe, vers les parkings en commentant, en donnant des notes. Au restaurant pilou, le patron donne le lieu où ont été plantés les cèpes et les truffes. Pied de cochon, poissons de saison, accent de province, serveuse accorte qui accueille les clients âgés par « un jeune homme » sonore ». Même ambiance à Hernani. Cidrerie, morue, lomo, patacharan et manzana. Le tourisme envahissant engloutit les provinces, les danses basques, les cœurs d’hommes dans les églises, les sports de force, le fronton et la pelote, et les touristes en demandent et en redemandent. Partout. Même à Belfast, ils demandent des peintures murales. A Beaurivage, les petits commerces se sont réunis pour former une galerie commerciale où ne se vendent que des produits de la région, charcuterie, pain fait boulanger, les fruits et légumes ont tous des noms. Plus les touristes sont éloignés du terroir, plus le terroir doit être authentique parce que la majorité vient de grandes villes où le terroir est englouti dans les galeries commerciales, les grandes marques, les nourritures rapides, les grandes artères. Dans ces grands ensembles rutilants, les individus survivent en bricolant leur origine, soit provinciale (mon Nord et mon Midi), soit lointaine, coloniale. Ils seront intégrés à la marmite nationale quand ils applaudiront au Parc Mazon les sports traditionnels basques et les danses folkloriques. Les Parisiens, les Bordelais, seront intégrés à la marmite locale quand ils se plaindront avec d’autres autochtones des inconvénients, des nuisances, des vagues estivales et attendront en serrant les dents le moment béni où ils se retrouveront entre eux.

            Les Parisiens, les Bordelais, devront sacrifier leur origine parisienne et admirer la côte. Ces mouvements de foule sont bénéfiques, Ils font vivre les autochtones. Ils sont réprouvés par ceux qui recherchent l’authentique, qui mobilisent la langue, l’histoire, l’archéologie, pour porter au pouvoir local, régional, et parfois national, ceux qui sont issus de l’authentique. Et dans leur recherche de l’authentique, ils condamnent les étrangers qui achètent leur maison sur la côte et empêchent les pêcheurs et les agriculteurs de subsister.

            Les traditions toutes neuves deviennent objets de résistance à la mondialisation, au fric bétonneur. La Goutte d'Or authentique est celle des migrations africaines. Si arrive dans le quartier de nouvelles migrations d’Europe de l’Est, des nouveaux usagers de drogue qui ne comprennent que le russe, ils sont chargés de tous les maux, la mafia, les deals, les réseaux de contrefaçons, ce sont eux, les nouveaux arrivants, d’Afrique noire et d’Europe de l’est. Les Roumains, les Roms, les enfants mendieurs.

            J’ai passé mon temps à m’intégrer dans le différent. Parents juifs polonais, j’enviais les familles dont les parents parlaient français sans accent. Le combat politique fut un puissant agent d’intégration, les ouvriers patriotes et révolutionnaires accueillaient les bras ouverts les prolétaires de tous les pays du monde. Manifestant devant les beffrois du Nord comme de Bastille à la Nation, j’étais partout enfant de la République. Quand la révolution s’écroule, il faut chercher ailleurs et cet ailleurs suppose que soient niés, ou en tout cas n’entrent pas en ligne de compte, les variantes du hasard de la naissance, langue maternelle, couleur de peau, lieu de naissance, classe sociale, pour être remplacées par des mérites individuels. Travail, dons, intelligence, mérites. Dans la lutte pour l’excellence et les avantages qu’elle procure, les individus ne disposaient plus des tanks puissants que sont l’appartenance religieuse, nationale, ethnique. Ils devaient se battre à mains nues. Quand ils réussissaient, ils méprisaient plus ou moins ceux qui continuaient à attribuer des vertus républicaines à des appartenances communautaires.

            Pourtant, orphelins d’engagements collectifs fougueux, aussi puissants qu’une vague de l’océan pour qui veut nager, ils observaient avec lucidité et envie les autres engagements nationalistes, religieux, communautaires. Comment en conserver l’ivresse tout en épluchant leurs masques sanglants ?

            C’est ainsi que je me suis retrouvé en pays irlandais à chanter l’universel contre les militaires des frontières, et au Pays basque à dénoncer les transformations du patrimoine en jeux guerriers. Ici et là-bas, ceux qui réagissaient à mes diatribes me dénonçaient comme étranger, comme inapte à comprendre, comme jaloux d’une camaraderie qui désormais m’échappait. Ils ne comprenaient pas, ils ne comprennent toujours pas, que la chance de survie de leur langue, de leur folklore, de leur chanson, serait de s’ouvrir largement aux étrangers, à leur langue, leurs habitudes, leurs mœurs, comme les marchands de la Renaissance accueillaient les épices et les soieries d’orient. Des influences étrangères qui pimentent les vies. Les nationalistes irlandais authentiques, selon mon cœur, étaient ceux qui réclamaient la publication d’œuvres érotiques en langue gaélique et les nationalistes basques authentiques, selon mon cœur, étaient ceux qui mariaient des individus du même sexe dans leurs églises où résonnaient les chants du pays. Qu’un mouvement pour les libertés de toutes les orientations sexuelles se nomme « les Bascos », voilà qui est réjouissant. Que hurlent les intégristes du monde entier. 

mercredi 13 août 2014

Le monde libre

Le monde libre


         La Seconde Guerre mondiale réunit les démocraties contre le fascisme, les Alliés contre les « puissances de l’Axe ». Nous savions tous où était le monde libre. Parmi les cinq grandes puissances du Conseil de Sécurité, deux, la Chine et l’URSS, n’étaient pas vraiment des démocraties. Mais elles avaient contribué à la défaite du fascisme, elles étaient donc dans le bon camp. La guerre froide cliva le monde différemment. Désormais, « le monde libre » s’opposerait aux dictatures communistes. Encore une fois, les lignes de fracture réunissaient des démocraties réellement existantes et des pays dictatoriaux, en Amérique latine, en Europe avec l’Espagne franquiste, en Afrique, avec des puissances colonialistes en guerre contre la libération des peuples. Pourvu qu’ils prennent position contre les ennemis du monde libre. D’où une confusion persistante. Les partisans d’un camp disposaient d’arguments importants contre les partisans de l’autre camp et chacun avait sa besace de propagandistes pleine de prisons, de camps et de massacres.

         Le temps n’est-il pas venu où l’expression désuète pourrait reprendre tout son sens, sans ambiguïté, sans confusion ? Les conditions fixées par l’Union européenne pour qu’un pays puisse envisager son adhésion en définissent les contours. Une économie de marché, un système politique fondé sur des élections libres, libertés collectives et individuelles, respect des choix individuels de croyance, de comportements sexuels. Interdiction de la torture et de la peine de mort.

         Pour les extrémismes de gauche et de droite, ces libertés sont formelles, elles permettent d’exploiter les hommes et les peuples, elles sont au service des classes dominantes et de leurs laquais : intellectuels et journalistes.

         La reprise de cette expression ne vise pas à nous donner bonne conscience, à célébrer bruyamment notre appartenance au « monde libre ». Elle permet de poser quelques questions à contretemps.

         Aux pourfendeurs du capitalisme et de sa variante démocratique, qui défendent les couches populaires, les pauvres et les opprimés, peut-on faire remarquer que les gens qu’ils défendent s’empressent de quitter, quand ils le peuvent, les pays où ces « libertés formelles » sont absentes pour se diriger vers les pays où le marché et ses serviteurs sont au pouvoir. Il n’y a guère de mouvement migratoire vers la Corée du Nord, Cuba, la Russie de Poutine, ni vers les pays arabes. Les pays qui attirent le plus les pauvres et les opprimés sont les Etats-Unis du grand capital, la Grande-Bretagne de Cameron, l’Europe de Barroso. Est-ce une remarque pertinente ?
        
         Autre question gênante. Dans cette définition, Israël fait partie du monde libre et ses adversaires n’en font pas partie. Les mouvements de population à nouveau en témoignent. Les Africains qui cherchent à émigrer ne choisissent pas les Etats arabes, ni la Cisjordanie. Ils sont plutôt attirés par Israël. Et les Arabes qui vivent en Israël ne cherchent pas à émigrer vers la Palestine ou d’autres pays arabes.

Encore une question gênante : les manifestations de solidarité à l’égard des Palestiniens n’ont lieu que dans le monde libre. Il n’y en a pas dans les pays arabes, ni en Corée du Nord ni à Cuba. Il y en a même en Israël. Mais pas en Russie.  Pas en Chine. Il y a des manifestations de solidarité à Londres, Madrid, Rome, Berlin, Stockholm, Dublin, Amsterdam, Tel-Aviv. Pas beaucoup à Budapest ou à Téhéran. Ou Alger, ou Caracas. On pourrait donner alors cette définition du monde libre : celui où se produisent des manifestations de solidarité à l’égard des Palestiniens.

Faudrait-il alors tout accepter au nom de la défense du monde libre ? Au contraire. Défendre le monde libre, c’est constamment manifester pour qu’il reste libre. Pour qu’il n’utilise pas dans la lutte contre le monde non libre des méthodes propres aux dictatures. Exécutions sommaires, écoutes des journalistes, répressions hors mesure avec les nécessités de la défense de la démocratie. Pour qu’Israël reste dans le monde libre, il faut que les Israéliens se demandent pourquoi les manifestations les plus importantes de solidarité avec les Palestiniens ont lieu dans le monde libre. Pour accéder au monde libre, les Palestiniens pourraient  se poser la même question.  



mardi 12 août 2014

clés du nord, clés du midi

Clés

12 août 14, Sophie a besoin de mon appartement pour quelques jours et me demande les clés dudit. Mon cœur ne fait qu’un tour, je prends mon trousseau de clés et me précipite rue Gambetta connue pour être aussi à Biarritz la rue de la Serrurerie pour le nombre de ces artisans. La première boutique est en vacances jusqu'au 24 août, alors que le nombre de parents qui ont besoin de double de clés est au pic en ce mois. Je remonte la rue Gambetta jusqu’au cordonnier serrurier. Il est remplacé par son père qui ressemelle, mais ne sait pas faire le double de clés. Son fils est en vacances jusqu’au 24 août. Mais vous trouverez une serrurerie rue du Centre. Gauche puis gauche. La serrurerie est fermée depuis longtemps me dit le cuisinier du restaurant, qui fume sur le trottoir. Je consulte mon téléphone qui m’annonce la présence d’une serrurerie dans la galerie du BAB2.  Entretemps, Brigitte, qui a transmis mon angoisse à une amie reçoit une autre information : il y aurait une serrurerie à l’Intermarché de Bidart, beaucoup plus proche. Sur le parking d’Intermarché, nous prenons la place d’amis socialistes qui reçoivent leurs petits-enfants et sont hagards. C’est difficile, disent-ils. On n’en peut plus. Comment faites-vous avec les vôtres ? Les nôtres sont bien élevés, c’est un plaisir de les recevoir. On n’en doutait, nous disent nos amis socialistes, avec des grands-parents comme vous. Nous nous haussons du col. Les nôtres, ils ne font rien, ils ne veulent pas sortir, par ce beau temps. Nous trouvons la serrurerie dans la galerie d’Intermarché, la dame jette un coup d’œil sur le trousseau de clés : nous n’avons pas la machine pour faire celle-là. Elle montre du doigt une clé en métal, grand classique, lourde. Je reflue mes remarques. Non, monsieur, nous ne pouvons pas vous faire une permanente parce que nous n’avons pas de sèche-cheveux, nous dit le coiffeur. Non, monsieur, nous ne pouvons pas vous préparer le rôti en tranches parce que nous n’avons pas le couteau adéquat. Pour ces clés, il faut aller au BAB2. Je triomphe. Mon téléphone avait raison. La technique moderne l’emporte sur les conseils des voisins. Il y a une serrurerie à Bidart, tu parles…

Au BAB2, la boutique s’appelle Minit. Sans doute s’appellait-elle minute, clés minutes, au début, mais elle a été rachetée par des immigrés d’Europe centrale, qui ne savent pas prononcer le «u », et disent « i » au lieu de « u », donc à force, la boutique s’est appelée minit. Le serrurier, qui a un fort accent balte, nous dit : revenez dans vingt minites. Nous revenons, les clés sont prêtes, efficaces, mais la peau des fesses. Naturellement il est trop tard pour le bureau de poste.


A la Goutte d'Or, rue Poulet, le cordonnier serrurier est un Chinois qui a un fort accent chinois que j’ai du mal à comprendre, d’autant plus qu’il rigole tout le temps. Rue Custine, de l’autre côté du Boulevard Barbès, le cordonnier-serrurier est chinois aussi, avec un fort accent chinois. Je le comprends mieux parce qu’il est triste et ne rigole jamais quand il parle. 

jeudi 7 août 2014

mouche du coche

Il y a des personnes qui travaillent, qui produisent, qui étudient, qui gouvernent, qui soignent, qui enseignent, qui cherchent. Et puis les mouches du coche. Qui bourdonnent. Ça énerve ceux qui gouvernent, travaillent et agissent. Ça les énerve tellement que parfois ils enferment les mouches du coche, ils les écrasent, ils les jugent, ils les torturent, ils les censurent. Mais je ne sais faire que moucheducocher, dans un pays où les mouches du coche sont libres de bourdonner sans danger. De temps en temps, grâce aux réseaux sociaux, grâce aux livres des visages, des amis appuis sur la touche like et la mouche du coche rougit de plaisir. Des anonymes publient des commentaires dont on comprend en les lisant pourquoi ils veulent rester anonymes. Tout ça dans la nuit, parce que le jour exige d’autres interventions, d’autres devoirs, d’autres compagnies, la nuit, on joue au ping pong tout seul, contre le mur, et grâce à l’infinie bonté d’un État généreux, jouer au ping pong tout seul est une activité qui n’est pas la plus mal payée parmi toutes les autres.

nouvelles

ma réponse à la tribune de Brauman, Hessel, Morin et Debray est publiée aujourd'hui dans Le Monde.fr

Mon article  sur la goutte d'or, zone de sécurité prioritaire, paraît dans la revue esprit, août-septembre.

call the police

Au mois d’août à Biarritz, les places de stationnement sont rares et chères. Les katkats tournent dans les petites rues du quartier Bibi. En revenant des courses, rue Vauréal, Brigitte repère une place, s’avance et voit une jeune fille qui agite l’index de droite  à gauche. Nous ne nous démontons pas, nous avons l’habitude. Il est interdit de privatiser un espace public, et quoi encore. Nous disons à cette jeune fille, qui de toute manière était en infraction car elle se promenait en maillot de bains, ce qui est interdit en ville, nous lui disons qu’il est interdit de privatiser l’espace public. Elle dit non, je garde cet espace pour mon ami. Je descends de voiture, calmement. Je guide Brigitte et lui dis sans crier, d’avancer. La jeune fille me pousse, je titube. Elle m’a poussé. Je crie elle m’a poussé ! Je prends mon téléphone, je tape le 17 et je crie au commissariat qu’une jeune fille m’a poussé rue Vauréal. La jeune fille s’enfuit. Je dis au standard, laissez tomber, elle est partie, les dégâts sont minimes, tu parles, dans l’état où je suis, quand on me bouscule, la douleur se situe entre six et huit. Je n’ai porté plainte, elle aurait pu prendre six mois ferme, bousculer un vieillard malade. Je dis clairement, à haute voix, à qui veut m’entendre, qu’en vingt-cinq ans de vie à la Goutte d'Or, jamais personne ne m’a bousculé. Le plus proche d’une agression physique fut un lancer de banane, dans le dos, par un consommateur de drogue à qui j’avais poliment demandé de jeter son emballage de subutex dans la poubelle. Il a fallu que je vienne à Biarritz pour qu’une jeune fille me bouscule, que je téléphone à police secours.

mardi 5 août 2014

conflit local, conflit mondial

Dans leur tribune du Monde, Rony Brauman, Régis Debray, Christiane Hessel et Edgar Morin sont convainus « qu’une certaine idée de la France se joue à Gaza ». Rony Brauman et Christiane Hessel sont tous connus pour avoir choisi leur camp dans le conflit israélo-palestinien. Régis Debray et Edgar Morin apportent la caution d’esprits plus modérés.
Les signataires acceptent que d’autres conflits sont plus meurtriers dans le monde arabe. Mais la particularité du conflit israélo-palestinien est « qu’il concerne et touche à l’identité des millions d’Arabes et de musulmans, des millions de chrétiens et d’Occidentaux, des millions de Juifs dispersés dans le monde ». Ce conflit n’est pas local, il est de portée mondiale et de ce fait a « déjà suscité ses métastases dans le monde musulman, le monde juif, le monde occidental ». Il a réveillé les xénophobies et les racismes, a répandu la haine dans tous les continents.
Il ne suffit plus « d’appels pieux », ni de « renvois dos à dos ». Parce qu’il y a des colonisés et des colonisateurs avec une « terrible disproportion de forces ». Il faut sévir, suspendre l’accord d’association entre Israël et l’Union européenne.
Les choses sont ainsi dites clairement. Le monde est parcouru de conflits beaucoup plus meurtriers, mais sur lesquels les signataires ne peuvent pas grand-chose. Alors que devant ce conflit, ils retrouvent les vieux réflexes, les vieux clivages qui nous manquent tant depuis la chute du mur de Berlin. Afrique du Sud, Vietnam, Chili, Cuba, étaient tous des conflits de « portée mondiale », ils suscitaient tous des « métastases » dans le monde entier. Les conflits interarabes, internes à l’Afrique ne sont pas des « conflits mondiaux ». On n’y peut rien. Alors que là, on retrouve le colonialisme, l’impérialisme, l’internationalisme prolétarien, les dénonciations des complicités entre puissances coloniales.
L’inscription du conflit israélo-palestinien comme conflit de « portée mondiale » lui assure une prolongation indéfinie. Il faut au contraire refuser les métastases, refuser l’exportation de ce conflit comme et les haines mondiales. Voici qui serait une contribution utile de nos faiseurs d’opinion. Le conflit israélo-palestinien n’est pas mondial, c’est un conflit local. Dans un petit territoire, des populations face à face depuis 70 ans portent au pouvoir leurs représentants les plus réactionnaires, les plus bellicistes. Ceux qui refusent les négociations, les compromis, parce que la paix les rejeterait dans les limbes. En contribuant à donner à ce conflit une dimension mondiale, on conforte ces extrêmes. Les Palestiniens deviennent le symbole de tous les colonisés du monde, les Israéliens sont à l’avant-garde de la défense du monde occidental menacé par l’islamisme radical. Dans ce face à face, seuls les chefs de guerre ont droit à la parole. Leurs alliés soufflent sur les braises.

Maurice Goldring

dimanche 3 août 2014

adresses

On ne vit dans la Goutte d'Or que parce qu’on y est obligé. On ne survit à la Goutte d'Or que si on devient militant de la mixité sociale, de prévention contre la politique sécuritaire, de l’accueil généreux contre la xénophobie, de la solidarité contre le repli égoïste. Mais il est possible de militer pour tout ça sans habiter la Goutte d'Or. Bien sûr. Mais en habitant la Goutte d'Or, on peut dire qu’on est au front, que le combat n’est pas un combat abstrait, intellectuel, sans chair. Je peux dire, fièrement, en me levant pour une intervention coutumière au conseil de quartier, à la section du PS, j’habite la Goutte d'Or. Quand je défends la politique du gouvernement socialiste, on ne peut pas m’accuser de pas m’occuper des classes populaires, puisque j’habite un quartier populaire et que je milite dans les associations de ce quartier populaire. Si je quitte le quartier, je sais que je ne vais plus pouvoir me lever en donnant mon adresse, et que mes opinions droitières vont provoquer des réponses sarcastiques avec en sous-texte la connaissance de mon adresse où je passe de plus en plus de temps, la ville de Biarritz, avec ses plages, ses hôtels de luxe, ses boutiques Hermès et comment peux-tu connaître quelque chose des classes populaires en habitant si près du Palais de la reine Eugénie, de l’hôtel Radisson, de la côte des basques ? Je répondrais bande d’imbéciles, si les adresses vous importent, recherchez donc les adresses de tous vos amis qui se préoccupent des classes populaires, qui les défendent dans d’ardents discours et vous serez surpris de leur concentration dans des quartiers pas trop populaires. Je rejoins aujourd’hui cette cohorte, je vais défendre les classes populaires en habitant Biarritz et je vous emmerde.

samedi 2 août 2014

le choix impossible

Rien à faire : il faut prendre parti. Ou s’exiler. Si vous êtes en Palestine ou en Israël, ne pas prendre parti, c’est trahir, être un espion. Ne pas pleurer aux enterrements, pire encore que déserter.

Mais déjà le conflit s’internationalise dans les consciences au point où ne pas prendre parti, c’est quasiment s’exclure du genre humain. Ne pas choisir, c’est s’exiler.Y-a-t-il des lieux sur terre où il est possible de ne pas choisir sans s’exclure de l’humanité ?

Ce lieu, en tout cas, n’est pas la France. Ni les États-Unis, ni la Grande-Bretagne, ni la Goutte d'Or ni le Pays basque. Pour les amis des Palestiniens ou pour ceux qui en général sont indignés par le massacre de population civile, ne pas choisir, c’est accepter le massacre, donc s’exclure d’une humanité civilisée, s’inclure dans les bourreaux, les bandits de l’histoire, les criminels de guerre. Même l’ONU déclare que des écoles ont été visées, délibérément. Alors, qu’en penses-tu ? J’en pense que des écoles ont été visées délibérément. Si j’ajoute que même l’ONU déclare que le Hamas a caché des armes dans les écoles, les foudres se déclenchent. Donc tu acceptes le massacre ? Les crimes de guerre ?

Pour les amis d’Israël, ne pas reconnaître le droit d’Israël à se défendre contre les rockets, regretter les frappes contre les écoles, c’est accepter la disparition du pays, s’inclure dans les génocidaires.


Comme je ne peux pas m’exiler, je me retire dans mon petit bureau, je ne réponds plus au téléphone, je ne regarde plus la télé, je n’écoute plus les infos, je débranche internet, je ne regarde plus que l’heure sur mon smartphone, je ne commente plus rien sur facebook. Face à mon écran, je continue de dire que tant que les Palestiniens accepteront que de leur territoire se tirent des rockets sur Israël, que sur leur territoire des responsables politiques diront qu’il faut éliminer ‘l’entité sioniste », ils contribueront à mettre au pouvoir en Israël des jusqu’auboutistes et des bellicistes. Je continuerai à dire que tant que les Israéliens accepteront implantation après implantation de refuser le droit à un État palestinien. Qu’ils refuseront de faire la différence entre modérés et fous de dieu, ils contribueront à porter au pouvoir des chefs dont l’unique objectif est la poursuite de la guerre qui les a portés au pouvoir. Mais je dis tout ça dans le silence de mon petit bureau, volets fermés, lumières éteintes, masque noir sur les yeux, bouchons dans les oreilles.