Libération, 1 juin
14. Chronique de Christine Angot : elle habite le « quartier noir »
de Barbès et parfois quand elle rentre le soir, elle est la seule blanche. Elle
dit à un ami qu’elle aimerait échanger son appartement contre un appartement à
New York. Son ami lui répondit qu’il ne fallait pas rêver, même si son
appartement était génial, jamais des américains ne viendraient habiter dans son
quartier. Christine Angot se sentit rougir « jusqu’à la racine de ses
cheveux ». « J’avais honte de ce que cette rougeur manifestait. « disait-elle
autre chose que la honte que j’éprouvais moi-même de ce quartier ? Et
celle qu’elle éprouvait enfant quand elle vivait à la ZUP avec sa mère ? Plus que la situation, « c’était d’avoir
honte que j’avais honte ». En une seconde, par un mot, une phrase, une remarque, « je me retrouvais dans un
état d’infériorité ». Par rapport à cet ami dont l’appartement donnait sur
le canal Saint-Martin. « Les barreaux d’échelle que j’avais crus solide
étaient vermoulus ».
J’ai écrit à Christine
Angot :
Chère Madame
Angot,
J’habite la Goutte
d'Or un quartier que vous nommez Barbès. Quand je rentre tard le soir, souvent
je suis le seul Blanc. J’avais offert de louer mon appartement aux parents d’une
étudiante américaine amie de ma
petite-fille. Ils sont venus voir l’appartement et ne l’ont même pas visité.
Ils ont fait quelques pas dans le quartier et sont repartis. Sans me dire un
mot, sans m’appeler au téléphone pour dire qu’ils renonçaient. J’étais en
colère ou j’ai rougi ? Les deux sans doute. Je suis prof de fac retraité.
Mes amis habitent des maisons dans le haut de Belleville ou des appartements qui donnent sur le canal Saint-Martin.
Dans mon enfance en Picardie, j’avais honte d’inviter des amis chez moi, pour l’accent
de mes parents et pour l’état des toilettes, les deux confondus. Aujourd’hui,
les amis qui viennent chez moi sont persuadés que j’habite le quartier par
engagement militant, comme des coopérants dans une zone inhospitalière.
Comme beaucoup
d’habitants non-immigrés qui habitent le quartier, j’ai loué puis acheté mon
appartement parce qu’il me permettait de vivre dans Paris à un prix accessible.
Qui achète ou loue à Barbès connaît le quartier. Il parie sur l’avenir. Un jour
peut-être la Goutte d'Or sera le Marais du Nord de Paris. Un jour peut-être. En
attendant…Les vendeurs à la sauvette, les produits contrefaits, les patrouilles
de police, la saleté des rues. En attendant, le rouge qui monte aux joues. Quand
ma petite-fille me dit, quand même, c’est sale dans ton quartier. Ou bien :
il y a beaucoup de mendiants par ici.
On ne refait pas
sa vie et le rouge aux joues ne se commande pas. J’ai réagi en écrivant un
livre sur le quartier (La Goutte d'Or,
quartier de France, aux éditions Autrement). J’ai réagi en militant dans
des associations. J’ai appris au fil des ans que la présence dans ces quartiers
de personnes comme vous et moi sont ressentis par les plus démunis, par les
plus pauvres, comme une protection contre le pire. Ils m’ont dit, encore et
encore, surtout, ne partez pas. Ne nous laissez pas couler comme il arrive dans
certaines cités. Sachez que vous faites partie d’une population nombreuse,
connue des gens du quartier, considérée comme un filet contre les dérives des
quartiers concentrés de misères.
Vous avez eu
honte de rougir. Et pourquoi un petit coup de fierté à l’heure de l’apéritif ?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire