vendredi 31 mai 2013

europe


Europe. Le PS prépare une convention européenne. Les militants, une trentaine sur quatre cents adhérents, viennent présenter des amendements au texte proposé. Les responsables de la section CGO et les élus sont absents. La réunion se déroule, tous les amendements sont critiques, toutes les interventions sont critiques des institutions européennes. On applaudit François Hollande qui a vivement réagi aux injonctions de Barroso. On est sourd à François Hollande quand il soutient les réformes mises en place par Schröder. États-Unis. Pas une seule intervention ne fait le bilan de ce qu’a apporté à tous la construction européenne.

L’Occident (Europe plus États-Unis) s’est longtemps enrichi en étant les maitres du monde. L’Empire colonial des Français, Britanniques, Espagnols, a été source de rente et un énorme marché captif. Le temps n’est pas si loin où quelques canonnières réduisaient à néant les résistances chinoises à l’invasion des produits occidentaux. Pour d’autres milliards d’hommes, un système totalitaire paralysait les économies en Russie et en Chine. Aujourd’hui, ce rapport de forces est terminé. Fini. La prospérité occidentale ne peut plus s’appuyer sur une domination sans partage.

Face aux nouvelles puissances émergentes, Inde, Chine, et bientôt l’Afrique, chaque pays européen seul est démuni. Ensemble, ils forment une entité capable de négocier avec les États-Unis, capable de peser sur les négociations internationales. Ensemble, ils sont capables d’assurer la sécurité du commerce maritime menacé par la piraterie.

Mais nous sommes encore loin d’une Europe fédérée. Comment construit-on une société ? Par la recherche d’un équilibre entre intérêts contradictoires. Par l’apprentissage du dialogue. En apprenant à se mettre à la place des autres. En ne crispant pas sur les intérêts égoïstes, de caste, de corporation, de classe. On est loin du compte. Un seul petit exemple : les élus socialistes du Pays basque défilent contre l’extradition d’Aurore Martin en contradiction avec le Parti socialiste espagnol, sans jamais chercher à rencontrer les élus, les responsables, socialistes outre Bidassoa. Quand une section socialiste invitera-t-il un travailliste anglais, un socialiste allemand, un démocrate italien ? combien de candidats non français dans les futures listes européennes ?

 

 

jeudi 30 mai 2013

ça va mal ça va bien


         La fille de G. ne parle plus à son frère. Comme G. ne parle plus à sa sœur. Ces querelles sont-elles héréditaires ? G. a rencontré une dame, F. avec qui il tisse sa vie en points serrés. F. ne parle plus à son frère. Entre son fils et sa fille explosent de nombreux conflits. G ne parle plus depuis longtemps à la mère de ses enfants. Mais continue de parler à ses enfants. F. n’est pas vraiment fâchée avec le père de ses enfants, mais ils ne se parlent plus non plus. Sa fille a divorcé et elle ne parle plus au père de ses petits-fils. Le fils de M. a longtemps refusé de parler à sa mère, puis il a eu un enfant et ils se sont parlé, puis il a divorcé et maintenant, ils se parlent tout le temps parce qu’il est dépression, ne travaille plus, demande de l’argent pour vivre et se loger. Son ami D. a dû aller au tribunal réclamer le droit de voir ses petits-enfants. Je pourrais continuer longtemps avec uniquement ce que je connais directement. Je ne parle pas des taiseries, des dissimulations sonores ou inaudibles. Ça pourrait nous rendre pessimistes, nous montrer la vie comme un immense champ de bataille dont tous les combattants finissent par mourir, vaincus. Or, nous vivons, nous sommes souvent contents de notre vie et de nos relations, de notre travail et de notre retraite. Enfin, d'après les sondages. Les gens se disent très majoritairement heureux dans leur travail, en famille, dans leurs relations sociales et amicales. La grande majorité dit ça.

         La société, elle, dans l’ensemble, va beaucoup mieux que les individus. Si elle allait aussi mal que les familles, les amours et toutes les embrouilles qui nous sont familières, la société serait un insondable chaos, une guerre civile permanente. Comment expliquez-vous que les gens soient contents de ce qui ne va pas, et mécontents de ce qui va ? On ne peut émettre que des hypothèses. Les sondés mentent-ils ? Ils disent qu’ils sont heureux individuellement et malheureux collectivement. Pourquoi mentent-ils ? La réponse est simple : parce qu’ils transforment leurs malheurs personnels en catastrophes sociétales. Des malheurs personnels, nous sommes ou nous sentons responsables, alors que des catastrophes collectives, tout le monde est responsable, la société, le système, tout le monde, sauf nous.

         Je ne vois qu’une issue : installer le divan du psy sur une barricade.       

mardi 28 mai 2013

excitation


J’ai connu l’excitation de la révolution, l’excitation de la jeunesse ardente qui veut escalader le ciel. L’excitation n’est plus de notre côté. Quand la droite était au pouvoir, la vie politique à gauche était excitante : Nicolas Sarkozy provoquait nos colères et nos dénonciations. Il y avait de l’excitation dans les campagnes des primaires et dans le choix des candidats. Le succès du pamphlet de Stéphane Hessel, Indignez-vous ! tenait sans doute à la recherche d’excitation disparue avec l’effondrement du mur. La révolution n’est plus à l’ordre du jour. L’indignation, ça peut donner Pépé Grillo en Italie, les montées des extrêmes dans toute l’Europe. L’excitation, elle est à droite : avec le mouvement contre le mariage pour tous. A gauche, on choisit des candidats et si on n’est pas directement impliqué dans le gouvernement des hommes, on s’ennuie. A l’extrême gauche, on porte des cravates rouges. L’excitation est à droite parce qu’elle a des réponses simples comme l’étaient les nôtres naguère. Boucs émissaires, les étrangers, les migrants, la peur à rassurer, les protections sociales comme obstacles au modernisme. Et défendre les valeurs éternelles, travail, famille, patrie. Le réformisme par définition est terrain de recherches, d’équilibres, de compromis. Chaque étape crée de nouvelles questions, l’excitation est absente de ce qui n’apporte pas des réponses affirmées, des certitudes flamboyantes.

 

dimanche 26 mai 2013

tout s'achète et tout se vend


Tout s’achète et tout se vend

 

            Sur mes écrans, téléphone, tablette, télévision, ordinateur, le marché m’offre des marchandises, des loisirs, des jouets matériels et humains. Les pas me conduisent hors de chez moi, les affiches, les kiosques, les abribus, les écrans lumineux multiplient les tentations. Personne n’est à l’abri. Les pourriels sont partout, ils étouffent les courriels comme l’algue verte empoisonne les chiens errant sur la plage.

 

            De vivre ici me plonge davantage dans le marché que de vivre ailleurs. Ailleurs, le marché est dans les vitrines, dans des établissements spécialisés pour vendre, dans des vitrines habilement décorées. Ici, dans mon quartier, dans le quartier où je vis, le marché envahit l’espace. Les commerçants d’ici sont convaincus que si les objets qu’ils vendent ne me barrent pas le chemin, ils ne seront pas remarqués, donc pas vendus. Les vitrines ne sont pas décorées, elles servent à empiler sauvagement des tissus, des chemises, des chaussures, des perruques et des boîtes d’onguent. En revanche, les valises, les mannequins, les étals couverts de téléphone, sont poussés sur le trottoir, le plus loin possible, le plus près possible des chalands, le plus irritant possible pour les propriétaires de poussettes, le plus obstruant possible pour les personnes en situation de handicap. Les valises, les présentoirs, les mannequins prêts à se marier, gagnent chaque jour du terrain, les trottoirs sont étroits, les passants contournent, grommellent, se taisent. Parfois, un contrôle sans lendemain fait reculer les obstacles.

 

            Mais ce n’est encore rien. Le plus légalement du monde, des distributeurs de prospectus pour marabouts, pour une coiffure sans égal, pour des abonnements qui permettent de téléphoner à Bamako ou à Conakry pour 0,25 centimes la minute, se plantent sur votre passage, vous fourrent leur papier de force dans la main, dans la poche, dans le cou, vous barrent le passage en criant très fort pour joindre la violence du bruit à la brutalité du geste. Je dis cela sans acrimonie, de manière générale, je parle de mon quartier sans acrimonie, car j’ai décidé une fois pour toute, comme méthode de survie, qu’il ne fallait pas s’énerver, qu’il ne fallait pas se plaindre, pas condamner. Qu’il fallait juste essayer de comprendre. Parce que moi, je ne suis pas un touriste ici, je traverse l’océan marchand tous les jours, le matin pour acheter mon quotidien et faire mes courses, l’après-midi pour acheter mon quotidien du soir, sans compter les pas qui mènent à des rencontres, des réunions, des spectacles, vers le métro ou l’autobus. Si je me laisse gagner par les allergies aux multiples agressions subies dans ce décor, je suis perdu. Il faut que je me place dans la situation d’un chercheur placé dans des conditions extrêmes. Par exemple, la cueillette des formes de vie dans les profondeurs de l’antarctique, c’est assez coton. Mais après des années de galère, quand il raconte, il provoque admiration et respect. J’aspire à provoquer à mon tour des étonnements extasiés pour mes explorations urbaines.

 

            Mais ce n’est encore rien. Tout ce que j’ai décrit jusqu’ici est parfaitement légal. Les étals sur le trottoir, les prospectus qui étouffent les tracts politiques, car ici, quand on vous tend un 21/27, c’est pour vendre, pour un restaurant ou un coiffeur, on n’imagine mal une feuille de papier qui contient des idées, des arguments, des invitations, non- marchandes. La tendance est donc de repousser poliment, avec merci, parce que le distributeur n’y est pour rien pourquoi l’humilier, non merci, et vous passez votre chemin. Parfois vous distinguez une phrase sur les droits des immigrés, les droits des immigrés, ça ne se vend pas, ça ne s’achète pas, mais sous l’avalanche, ces droits ont du mal à émerger.

 

            Mais ce n’est encore rien, car vient s’ajouter à ce maelstrom d’échanges offerts et requis tout ce qui est illégal. Est illégal tout commerce non déclaré, occupant l’espace public sans aucun droit, sans payer de taxe ni d’impôts, qui offre parfois des marchandises frelatées, des objets volés, des contrefaçons. Cette commercialisation illicite est tenue par les plus pauvres, et si parfois je sens la colère monter contre ces vendeurs sans papiers, sans patente, sans licence, je dois me rappeler qu’ils ne vendent pas par plaisir, mais par nécessité. C’est ainsi qu’ils survivent. Il y a des pauvres qui mendient, parce que dans mon quartier, la mendicité est lucrative, soit pour des raisons religieuses : les croyants pratiquants doivent donner de l’argent aux indigents, et ils donnent, beaucoup plus à la porte des mosquées que sous les porches des cathédrales. C’est la raison pour laquelle les mendiants se pressent aux sorties des prières islamiques alors qu’ils sont de plus en plus rares devant les cathédrales. Car dans les pays protestants et catholiques, la charité a été remplacée par la sécurité sociale, les retraites par redistribution, les logements sociaux, l’éducation gratuite, les soins accessibles aux plus démunis, un mendiant est donc un marginal. Alors que la mendicité dans mon quartier, monsieur, elle n’est pas marginale, elle est un mode de survie intégré à une société migrante privée de la protection d’un État-providence. Je ne parle pas ici des ventes de drogues et de consommation, car c’est un marché particulier qui mérite développement à lui tout seul.

 

            Au-dessus des mendiants, socialement, culturellement, les vendeurs de maïs chaud, de marrons chauds, de boissons fraîches en été, de vêtements, de tissus, de babioles, de jouets clignotants, de montres de luxe, de cigarettes de contrebande, de vêtements de dessous et de dessus, jeans, tee-shirts, sous-vêtements de dames, posés sur les voitures, les vélibs, sur un carton vertical, à même le sol, sur une grande nappe qu’on peut replier avec son contenu quand les uniformes s’approchent.

 

            Ne pas déplorer, comprendre. Ces centaines de personnes nous disputent le trottoir ni par plaisir, ni par perversité. Ils cherchent à survivre. Nous connaissons leur statut et leur mode de fonctionnement. Ils sont généralement utilisés comme revendeurs par des grossistes qui leur fournissent la marchandise d’origine généralement douteuse et incontrôlée. Ils ne payent pas, la marchandise est en dépôt et ils paient le grossiste quand elle est vendue. Je sais tout ça parce que mon père, émigré de Pologne, survivait de cette manière. Il devait nourrir sa famille et deux filles. Leur acheter à manger. Les loger. Les habiller. Sans permis de travail, sans papier d’identité. Sous la menace d’un renvoi dans son pays d’origine où les pogroms menaçaient les Juifs. Il trouvait des grossistes qui lui confiait quelques pièces de tissus qu’il étalait à même le sol, près du marché, près d’une braderie, sans inscription, sans patente, et il vendait, puis ramenait des sous au grossiste qui lui confiait à nouveau quelques pièces de tissus. Je ne dis pas ça pour vous faire pleurer mais pour faire comprendre. Si ces marchands qui jouent avec la police sont des délinquants, mon père était un délinquant aussi. Et s’il n’avait pas trouvé ces grossistes complaisants et sans doute intéressés, il aurait dû voler pour nourrir sa famille. Vous l’auriez renvoyé à Lublin en Pologne pour y mourir dans un camp ?

 

            Le ballet qui consiste à repousser les vendeurs de l’illicite à grands coups de patrouille est inutile et nécessaire. Il est le résultat de pressions irrésistibles. La pression de la population locale qui veut tout simplement pouvoir circuler. Je veux pourvoir passer avec ma poussette, avec ma canne, avec ma compagne, avec mes enfants, crient les passants. Les marchands à patente et boutique ne sont guère atteints par la concurrence, mais leur clientèle peine à accéder à leur étal entouré de ces vendeurs éphémères. L’État intervient parce qu’il doit sanctionner des gens qui vendent sans payer d’impôts, et parce qu’il est comptable de l’hygiène public.  Y a-t-il une solution ? J’en doute. La solution c’est la marée. Quand la mer monte, les vacanciers quittent la plage et quand la mer descend, les baigneurs redescendent sur le sable. Ainsi le quartier se remplit et se vide, comme un poumon qui respire. Si les vendeurs à la sauvette n’étaient jamais chassés, le quartier serait en apnée et finirait par mourir.

 

mardi 21 mai 2013

alzheimer


            La salle 2 du Royal (une centaine de place ?) est pleine. Il a fallu ouvrir une autre salle pour projeter le film. Après les deux projections, les spectateurs se regroupent pour le débat. Personne ne part, comme souvent à la fin d’une projection. Le film est un dessin animé, espagnol Arrugas, titre traduit en français par « la tête en l’air ». Le sujet est la maladie d’Alzheimer. Dans une famille classe moyenne, le père, veuf, est désormais mentalement à la dérive. Le moment est venu de le placer en résidence.

            Une association (France Alzheimer) et les intervenants dans les structures d’accueil sont prêts à répondre aux questions. Nombreuses. La maladie guette. Quels en sont les symptômes ? Comment soigner ? Vaut-il mieux rester chez soi ou placer en résidence ? Hospitalisation de jour ou de nuit. Tout le monde connaît quelqu’un, dans la famille, ou un proche. Tout le monde est inquiet, mais pourtant, la France n’est pas le pays le plus mal placé pour l’accueil et le soin des handicapés neurologiques.

            Hier et demain, il y aura des films sur l’accueil et l’accompagnement des enfants handicapés physiques et mentaux, avec les mêmes inquiétudes et les mêmes rassurances. Puis sur le cancer. Puis sur les accidentés de la route. Toujours le même engouement, les mêmes questions, les mêmes inquiétudes.

            Une minorité de personnes âgées est frappée par la maladie. Avant 60 ans, un pour cent. Après 90 ans, trente pour cent. Les femmes plus que les hommes. Comme les hommes meurent plus jeunes, ils sont moins frappés. La bonne nouvelle, c’est que la majorité d’entre nous mourra plutôt d’un arrêt cardiaque, d’un cancer, d’un accident de la route et il n’y a donc pas lieu de s’inquiéter outre-mesure.

            Inlassablement, les médecins, les infirmières, les psychologues, les kinésithérapeutes, les aides de vie, répètent qu’il faut laisser le plus d’autonomie possible aux individus frappés, qu’il faut leur offrir des activités qui les empêchent de s’étioler. La cuisine, l’écriture, la peinture. Risquer les sorties plutôt que d’attacher. Faire confiance et laisser vivre. En écoutant ces conseils pertinents, on se dit que finalement, valoriser les compétences, laisser vivre, rendre les individus autonomes, favoriser les développements et les prises de risque, n’est-ce pas le but de toute éducation, de  toute intervention à tous les âges de la vie ? Développer les aptitudes, développer les activités professionnelles et citoyennes, sont des objectifs pour tous et pour tous les âges. Quelles différences ?

            Le regard politique sur les situations de handicaps, sur les accidents physiologiques ou sociaux c’est celui-là : la manière dont la société traite les accidentés de la vie témoigne de la manière dont elle traite l’ensemble de ses membres. L’avidité des attentions à leur égard témoigne d’abord d’une inquiétude politique. Finalement, il n’y a guère que deux orientations : ou l’on frappe sur les doigts de ceux qui s’accrochent à la corniche ou bien on tend la main pour les rattraper. 

samedi 18 mai 2013

priorités en zone sécuritaire


         Zone de sécurité : les priorités


         Le comité de pilotage de la Zone de sécurité prioritaire s’est réuni le jeudi 16 mars 2013 au commissariat du 18ème arrondissement, rue de Clignancourt en présence d’un panel d’habitants dont deux représentants associatifs (Action Barbès et Chateaubouge). Les militants associatifs de la Goutte d'Or « historiques », n’étaient pas présents.La majorité des habitants présents étaient ceux qui subissaient de plein fouet des nuisances dans leur immeuble ou dans leur rue. Des hommes et des femmes qui ont mille raisons d’être en colère contre les agressions, la prostitution, le bruit, les rassemblements de buveurs pisseurs…Mais il n’y avait qu’eux. Il était légitime de les inviter à cette réunion. Les autres n’étaient pas là. Les autres qui habitent aussi le quartier et partagent une partie de leurs colères, mais pas toutes, et qui ont une autre expérience et une autre vision du quartier. Avec ces habitants, tous les fonctionnaires qui mettent en place l’aspect policier et judiciaire de la Zone de sécurité prioritaire : police de quartier, brigade des stups, brigade de lutte contre le proxénétisme, les douanes, les agents de sécurité des transports, la veille sanitaire, les gendarmes, les CRS, le procureur de la République. La mairie était représentée par deux élus : Myriam El Khomry et Dominique Lamy et quelques membres du cabinet.

         Myriam El Khomry, copilote de la Zone de sécurité prioritaire, ouvre la réunion en insistant sur le volet prévention du classement. Grâce à ce classement, une enveloppe de 70 000 euros est attribuée pour des actions précises de prévention : lutte contre le décrochage scolaire, actions avec les familles des jeunes en difficulté, réinsertions par l’emploi, prise en charge des usagers de drogue en liaison avec la coordination toxicomanie de l’arrondissement et d’EGO, actions pour éviter les incarcérations et privilégier les travaux d’intérêt général (TIG). On l’écoute poliment. Aucun représentant des institutions mentionnées dans ce volet n’est présent. Aucune réunion avec les habitants n’est annoncée sur ce sujet. Aucun élu ne prendra plus la parole. La place est nette pour le volet « sécurité  prioritaire » dont le commissaire rappelle les objectifs : lutte contre le proxénétisme, contre le trafic de drogues, contrôle administratif des commerces, contrôle sanitaire, sécurisation de l’espace public.

         Chacun des responsables rend compte ensuite des actions entreprises. Fermetures d’établissements insalubres, contrôles sanitaires multipliées, détection de travail au noir, récupération d’appartements utilisés par les proxénètes. Grâce au classement en Zone de sécurité prioritaire, les procédures sont accélérées. Les actions contre les trafics en tous genres sont menées par GIR, (groupes d’intervention régionale), qui regroupent police, douanes, Urssaf et impôts. Des actions sont menées avec succès : saisie d’or volé, arrestation de recéleurs, contrôle qui ont permis des expulsions, de mises en rétention, des arrestations de fabricants de faux papiers, fausses ordonnances, fausses cartes d’identité. Passages plus fréquent de patrouilles de police dans les endroits où sont signalées des agressions, des vols de téléphone.

         La lutte contre le proxénétisme est urgente parce qu’elle provoque de graves nuisances dans les immeubles. Elle est compliquée : les réseaux sont ethniques et les prostituées invisibles. Elles ne racolent pas, elles attendent, habillées comme tout le monde. Quand elles sont arrêtées, on leur interdit de revenir dans la Goutte d'Or et si elles reviennent, elles peuvent alors être arrêtées. Le trafic de stupéfiants est important dans le quartier. Il est le fait des jeunes du quartier, mais il y a aussi beaucoup de revendeurs de médicaments (subutex…). Certains médecins et pharmaciens ne sont pas assez vigilants dans ce domaine. Le travail de la police déplace les trafics. La vente de subutex se déplace vers le 10ème. Les opérations de police aux stations Barbès et Château-Rouge ont déplacé les usagers de drogue vers Marcadet Poissonniers. De même, la prostitution a diminué constamment, mais les prostituées se sont dispersées dans les petites rues, ou déplacées vers d’autres lieux de la capitale.

         La brigade des stups n’oublie pas la prévention : lorsqu’un toxicomane est arrêté, s’il s’engage à se soigner, il ne sera pas incarcéré. S’il refuse de se soigner, il ira en prison.

         Les actions sur la voie publique sont les plus visibles. Mais très difficile. Ce commerce est le fait de plusieurs centaines de personnes, autour du marché Dejean, de Barbès, rue des Poissonniers. La police ne peut pas les arrêter. Amener une Africaine devant un magistrat avec son caddy de safou n’a aucun sens. Ce qui est le plus efficace est la saisie des marchandises et leur destruction immédiate. Des bennes et des camions sont réservées pour ce travail. Il  reste que la Goutte d'Or est le plus gros marché aux voleurs de toute l’île de France et les téléphones volés partout dans la capitale se retrouvent dans l’heure qui suit Boulevard Barbès. Un policier dit « on vide l’océan ».
        
         Les habitants se plaignent. Des cafés sont fermés, ils rouvrent sous un autre nom. OU le propriétaire loue à un autre gérant qui poursuit le même commerce. Les épiceries vendent des boissons à des consommateurs qui boivent sur les trottoirs. L’installation de deux urinoirs mobiles, pourtant à la demande des riverains, n’est pas satisfaisante. Les buveurs pissent autour, ça pue autant que la pisse sur les trottoirs. Question récurrente : les camions de CRS stationnent et à côté, ventes à la sauvette…Le commissaire rappelle que les CRS ne sont là que comme  unité de soutien aux autres unités de police qui patrouillent dans le quartier. C’est leur seul rôle. Un habitant proteste contre les contrôles répétés. IL ne dit pas au faciès, mais tout le monde l’entend. Le commissaire répond que ces contrôles sont ciblés sur des individus connus et qu’ils sont nécessaires. Il faut d’abord demander les papiers pour ensuite rechercher les produits interdits ou volés.

Bilan : une augmentation des arrestations pour deal, diminution des agressions, notamment autour du square Léon. Pour la vente à la sauvette, ça va et ça vient.

         Quand je pose des questions plus générales, les policiers me répondent que ce sont des questions pour les réunions de quartier, pas pour la Zone de sécurité prioritaire. Et les habitants me regardent de travers, parce qu’ils ne sont pas là pour ça. Ils sont là parce qu’il y a une épicerie en bas de chez eux et que ça fait du bruit.

         Entendez-moi, s’il vous plaît. Des habitants du quartier vivent dans des conditions très pénibles et ces situations méritent écoute. C'est à dire avant tout des solutions, et pas des explications sociologiques ou des réponses d’impuissance. Le travail de la police est souvent nécessaire, parfois urgent.

         Je dis seulement que je suis atterré, parce que je craignais le pire et que le pire est arrivé. Le classement en Zone de sécurité prioritaire a marqué la Goutte d'Or comme on marque le bétail, au fer rouge. Sur la peau des habitants, on a brûlé les lettres Z S P. Nous ne sommes plus que ça. La sécurité, c’est comme la culture, ce qui reste quand on tout oublié. Les gens ne comptent plus. Les habitants ne sont plus que des victimes pantelantes qui demandent qu’on les rassure, toujours plus, et ce ne sera jamais assez, car le quartier ne sera jamais, de leur vivant, comme ils le souhaiteraient. Les policiers ne décrivent le quartier que comme celui où il y a le plus grand nombre de garde à vue et d’arrestations de tous les arrondissements de Paris, avec fierté, car ils font bien le travail qui leur est demandé. Les vendeurs à la sauvette, les vendeurs de cigarettes, les mama qui vendent du soufa, ne sont pas des individus, mais du bétail qu’on repousse et qui revient au gré du vent. Il ne reste plus que la peur, l’angoisse, l’énervement, l’agacement contre qui veut parler politique ou sociologie. On lui lance un regard noir : ça pue en bas de chez moi, je ne peux pas dormir, si ça ne pue pas en bas de chez toi, si tu dors tranquillement, tu n’as pas le droit à la parole. Sur les usagers de drogue, qu’on appelle toxicomanes, j’avais oublié, on revient à des malades qu’il faut soigner de force sous peine de prison, cinquante ans de régression. Et sur les bousculades à Château-Rouge, le représentant de la police des transports ne sait même pas qu’il était prévu des travaux pour une seconde sortie. Son seul problème, c’est de chasser les toxicos vers d’autres stations de métro.

         Je ne suis pas en colère contre les participants à cette réunion. Si l’on met dans une  même salle des habitants qui vivent des situations insupportables et des policiers à qui on réclame une solution, que peut-on attendre ?

         Tout le travail politique sur le quartier, les constructions, la bibliothèque, le centre de musique, les associations qui jour après jour mènent un travail d’insertion, d’accompagnement de soins, les associations d’accueil des usagers de drogue, le travail de réduction des risques, tout cela est effacé. Tout ce qui tient le quartier debout. En sortant de la réunion, j’avais envie de crier « vive le Louxor ! Vive le centre Barbara ! Vive l’Institut des cultures de l’Islam ! Vive EGO ! vive STEP ! vive la rue des Gardes ! Rouvrez la médiathèque Goutte d'Or !

         L’urgence est de redonner au mot « sécurité » son sens plein et non pas une définition atrophiée. Vous voulez des exemples ? En voilà. Il n’y a pas si longtemps, des seringues jonchaient les rues du quartier. La distribution de seringues propres et un programme d’échange les a fait disparaître. Les prières dans la rue Polonceau.  On pouvait imaginer leur interdiction et patrouilles de police pour les chasser. Après tout, elles étaient des prières à la sauvette. La municipalité a trouvé un lieu de prière pour tous les vendredis. Les usagers de drogue dans la rue : pourquoi pas une salle de consommation à risque réduit ? Les ventes à la sauvette : pourquoi pas un lieu où elles seraient regroupées, permises et contrôlées ? Folies ? Cherchons ensemble des solutions. À plusieurs, on finit par trouver. 

mercredi 8 mai 2013

séquestration


Après cinquante ans de drame, on découvre le calvaire des dix millions de Cubains séquestrés par les frères Castro.


Une petite île des Caraïbes. Rien ne semblait suspect aux voisins. Les enfants allaient à l’école, on entendait de la musique. Beaucoup de gens allaient en vacances pour séjourner sur les plages ou danser la salsa. Ils n’avaient rien remarqué. Malgré tout, certains s’étaient inquiétés de voir des habitants tenter de quitter le pays dans de vieux rafiots. Des voisins considéraient que les frères Castro étaient des « types sympas ». Ils disaient bonjour, prenaient des gosses dans leur 4X4 pour des promenades. Ils aimaient la musique. Ils avaient déjà été condamnés à plusieurs reprises pour atteinte aux droits de l’homme, mais rien de grave. Ils avaient refusé de laisser travailler les enquêteurs d’Amnistie International. Maintenant que les habitants ont le droit de parler, on découvre l’ampleur du drame. 

lundi 6 mai 2013

seringues


Seringues

            Des habitants de Seine Saint-Denis (where else, il y a concurrence entre le 93 et la Goutte d'Or pour ces choses-là, et le 93 semble l’emporter, pour le moment), des habitants de SSD donc ont trouvé des seringues dans la cour de récréation d’une école maternelle. Leur sang n’a fait qu’un tour. À juste titre. Les seringues, c’est l’hépatite et le Sida, sans compter tout le reste. Les parents demandent des patrouilles de police pour protéger la cour de récréation et ils ont raison. S’ils n’étaient pas inquiets, ils ne seraient pas dignes d’être parents.

            Une fois qu’on aura placé un bouclier de CRS entre la cour de récré et les seringues jetées, et je dis bien qu’il faut l’installer, ce bouclier, moi si j’avais des enfants ou des petits-enfants qui risqueraient de se piquer avec une seringue, je deviendrais fou. Une fois installé, est-ce qu’on se monte le bourrichon en tournant en rond ou est-ce qu’on se met à réfléchir ?

            Première idée : le nombre d’usagers de drogue augmente et le nombre de seringues dans l’espace public diminue. Dans la Goutte d'Or, un temps fut, aujourd’hui révolu, où l’on ne pouvait pas sortir sans trouver une seringue dans le ruisseau. Aujourd’hui, on n’en trouve pratiquement pas. On trouve ça normal. Mais où se trouvent ces seringues ? Une politique de réduction des risques, à laquelle s’est toujours opposée une droite conservatrice (distribuer des seringues propres, c’est encourager la consommation, comme les préservatifs encouragent le stupre, le divorce encourage l’adultère, le mariage pour tous encourage l’homosexualité et le droit d’avorter encourage la débauche), une politique de réduction des risques donc a permis d’échanger des seringues propres contre des seringues usagées et considérablement réduit le nombre de seringues jetées dans la rue. Ainsi qu’elle a diminué le nombre de sidas, d’hépatite C et les abcès monstrueux.

            Une politique de réduction des risques, plus elle est efficace, plus elle provoque des mécontentements. Quand il y avait des seringues partout, on ne les remarquait même plus. Maintenant qu’elles ont disparu, quand on voit une, on crie, on hurle. À juste titre.

            Quand les curés étaient pédophiles, les parents envoyaient tous leurs enfants au catéchisme. Maintenant que les curés pédophiles sont en prison, le nombre de catéchumènes a baissé.

            Plus on réforme, plus on mécontente. Quand tout est bloqué, on se résigne. Quand tout se débloque, on s’impatiente. La politique est un métier difficile. 

dimanche 5 mai 2013

la guerre est finie




            Jusqu’à la décision par l’ETA de déposer les armes en octobre 2011, les revendications culturelles et politiques nationalistes étaient obérées par le refus de condamner la lutte armée de l’ETA, soit par le soutien ouvert de ces activités, soit par la sympathie militante pour ses militants emprisonnés. Aujourd’hui, cette hypothèque semble levée. Puisque Bildu, le parti héritier de Batasuna, rend même hommage aux victimes de l’ETA. Dans cette période de transition, la confusion règne. Le candidat UMP porte localement un masque abertzale. Les élus socialistes protestent contre l’extradition d’Aurore Martin aux côté des élus de droite. La plate-forme Batera regroupe des élus de droite et des élus de gauche.  

            Pourquoi cette confusion ? D’abord parce que tous sont soumis au chantage moral des nationalistes : qui n’est pas avec moi est contre moi. Qui n’est pas pour la langue basque est jacobin centralisateur oppresseur colonialiste. Qui n’est pas pour le rapprochement des prisonniers est pour leur mort programmée. Chantage efficace, programmé, organisé, qui permet de fissurer un front républicain hostile à la violence terroriste et répugnant à la construction de nouvelles frontières au moment où l’Europe dissout les anciennes.

            Pour ajouter à la confusion, les choses se font sans être pensées. On assiste à des réunions sans être au premier rang. On soutient sans soutenir. C’est dans cette confusion que ceux qui s’accrochent à une ligne constante, les nationalistes basques, marquent des points et conquièrent de nouvelles positions.

            Au lieu de « répondre » il faut affirmer une politique. À partir de principes simples. Le Pays basque est culturellement pluriel et toute politique fondé sur un essentialisme basque ne peut que nourrir divisions et rancœurs. Le Pays basque dispose d’une culture à laquelle une partie de sa population est attachée et à  tous les niveaux, elle doit être soutenue. Le Pays basque est ouvert sur le monde et la majorité de la population qui l’habite et y travaille répugne à tout repli culturaliste. À partir de ces contradictions réelles, les négociations entre les pouvoirs publics et les associations, les institutions, les enseignants, les hommes et femmes de culture, peuvent aboutir à des décisions apaisées, le contraire de coups de force et de ruses de guerre.

            Actuellement, la position de Bildu et de Biarritz autrement est le contraire de l’apaisement : « je ne vis ni Espagne ni en France, je vis au Pays basque » dit un jeune nationaliste. « La frontière n’existe pas, il n’y a qu’un seul Pays basque ». De telles affirmations excluent la majorité des hommes et femmes qui vivent et travaillent ici.

            À l’opposé de ces déclarations martiales qui divisent, le candidat de gauche représente une position apaisée à l’égard de la langue, de la culture basques et de leur place dans les écoles. La guerre est terminée, il est temps de déclarer la paix dans tous les domaines.