mardi 31 décembre 2013

le même monde

            
            J’ai la chance inouïe de partager ma vie entre la Goutte d'Or à Paris et Biarritz, la Reine des plages. À la Goutte d'Or, des centres d’accueil pour les usagers de drogue, à Biarritz l’Hôtel du Palais. Entre les deux, le train à grande vitesse me fait passer d’un monde à l’autre. Les deux mondes se heurtent parfois pendant le voyage. Des jeunes déclassés font peur à de respectables voyageurs, qui referment, lorsqu’ils passent bruyamment,  la fermeture éclair de leur sac.

            C’est une chance parce que de voyager entre des destinations qui semblent si éloignées, je suis témoin de la diversité d’un monde qui est unique. Où habitez-vous à Paris ? Je réponds, sans être gêné, depuis le temps, je vis à la Goutte d'Or. Et où habitez-vous quand vous quittez Paris ? Je vis à Biarritz. Chaque fois, dans le cerveau de mon interlocuteur, Goutte d'Or ou Biarritz, se mettent en place les préjugés. Chaque fois, je suis obligé de préciser : vous savez, la Goutte d'Or, ce n’est pas si terrible. Ou parfois, pour paraître héroïque, je dis, au contraire, c’est pire que tout ce que vous pouvez imaginer. Et à Biarritz, tout n’est pas calme et volupté, j’ai vu une voiture brûler rue Lousteau, dans le quartier Bibi, alors que je n’ai jamais vu une voiture brûler dans une rue de la Goutte d'Or.

            Le même monde, ça veut dire quoi ? Ça veut dire les mêmes sujets de discussion. Les mêmes craintes. Les mêmes peurs. Les mêmes questions politiques. Les mêmes élans de solidarité qui se heurtent aux évitements égoïstes.

            Prenez les discussions sur les centres d’accueil des moins favorisés. Que Biarritz renâcle à installer des hôtels sociaux et des centres d’accueil pour une population errante, on pourrait comprendre. Biarritz, c’est l’hôtel du Palais, le tourisme de luxe. Pourtant, on a construit un hôtel social et un lieu d’accueil pour les errants. Comme à la Goutte d'Or, des riverains ont manifesté contre l’implantation de ces lieux de solidarité et les responsables associatifs et politiques ont discuté et obtenu leur acceptation. Comme à Biarritz, les habitants de la Goutte d'Or manifestent contre le projet d’une salle de consommation comme ils ont protesté naguère contre les centres d’accueil des usagers de drogue ou de distribution de seringues propres. Il faut chaque fois dialoguer, expliquer, montrer qu’il est de l’intérêt des mieux portants d’aider les accidentés de la vie, que si l’on met face à face l’extrême galère et l’insolent confort, tout peut exploser.

            Deuxième sujet de discussion commun : l’utilisation de l’espace public. Les édiles, gouvernent une ville d’une vingtaine de mille d’habitants dont les électeurs sont résidents, alors que les deux espaces sont envahis de manière récurrente par des dizaines de milliers de clients, touristes, population migrante riche ou pauvre, qui utilisent l’espace public pour leur commerce, leur activité professionnelle, pour des activités licites ou illicites et ne sont pas généralement électeurs. Les intérêts des deux groupes ne sont pas forcément convergents. Comment trouver un terrain d’entente entre résidents qui cherchent paix et tranquillité et qui ont le privilège de voter et migrants qui provoquent bruits, embouteillages, nuisances sonores et qui parfois vont fumer des produits interdits sur les plages ou dans les halls d’immeuble ?

            Entendons-nous bien. Je ne dis pas que les deux lieux sont pareils. Mais comment peut-on comprendre qu’ici et là, les discussions sur la manière de vivre ensemble portent sur les mêmes sujets, l’utilisation de l’espace public, la part qui revient à la solidarité et à la redistribution des richesses et des ressources ?

            Il doit y avoir quelque part une réponse.

            La politique vise à dépasser les comportements individuels pour dégager un intérêt général. Elle doit affronter les conflits et rechercher patiemment les lieux de convergence. Partout, le plus simple, le plus rapide et le moins efficace est de surfer sur les préjugés, sur les peurs, sur les crispations égoïstes. Mettre la sécurité en avant, dénoncer la mixité sociale à la Goutte d'Or comme une « guerre faite aux pauvres » et la dénoncer à Biarritz comme une intolérable invasion. Rechercher les convergences, repousser les affrontements dangereux demande une patience, une obstination, une passion. Tout ça prend du temps et ne correspond pas rythmes électoraux. En face du compromis et du dialogue, se contorsionnent les simplificateurs et les bateleurs. On comprend que les politiques soient tentés par les évitements, par les prudences excessives, par les silences.

            Ils ont tort. Le degré de civilisation d’une société se mesure d’abord par la manière dont elle traite les marges. Là où l’accès aux soins dépend du revenu, où l’éducation dépend d’une adresse, là où les femmes sont maltraitées et exclues, là où les homosexuels sont emprisonnés, c’est la société toute entière qui est atteinte. La haine, l’exclusion, se diffusent dans toutes les couches, toutes les institutions. Le face à face entre richesse insolente et galère insupportable est potentiellement explosif.

            Dans les lieux que je connais, des politiques et des associations œuvrent à la solidarité et au lien social. Grâce à eux, les voitures ne brûlent pas à la Goutte d'Or et les villes de la Côte basque restent accueillantes et solidaires. Grâce à eux, des cinémas et des centres de musique s’installent à la Goutte d'Or et des logements sociaux se construisent à Biarritz. Tout ça prend du temps. Mais qui est pressé  de construire le pire ?



lundi 16 décembre 2013

voiles et vapeurs

Voiles et vapeurs

            Encore une fois la prairie s’enflamme. Une commission chargée d’étudier l’intégration recommande d’abandonner l’interdiction du voile à l’école. C’est la République qu’on assassine, tonne Jean François Copé. La Patrie pour laquelle tant de nous sont morts est en danger. Un petit carré de tissu menace notre pays.

            Si la survie de notre pays dépendait d’un carré plié en deux et noué sous le menton, il serait bien fragile, notre beau pays. Je trouve qu’il se porte bien. Qu’il est fort. Son économie, sa culture, ses gens, une population plutôt en forme, moralement, physiquement. Ses soldats sont robustes, applaudis. Cinéma, littérature, inventions, musique, musées, théâtres, festivals, dessinent un environnement porteur. Les restaurants sont pleins. Le pays attire des étudiants et des mafias du monde entier, ce qui est signe de bonne santé économique et morale. Et voici que le carré de tissu fait trembler nos villes et nos campagnes.

            Parce que ce carré de tissu, nous dit-on, en parfaite contradiction avec l’intégration des nouveaux arrivants. Il est drapeau des envahisseurs, banderole d’une vague déferlante. Dès qu’il apparaît, il faut décréter mobilisation générale et ouvrir la chasse. Cette peur incontrôlée fait partie de notre identité nationale et je craindrais pour mon pays s’il cessait de craindre le voile puisque ces tremblements font partie de notre charme et de notre climat. Douce France, si vite effrayée. La voisine qui nous appelle parce qu’elle a vu une souris dans sa cuisine, rose de panique, n’est-elle pas charmante de cette frayeur ?

            Les craintes réellement fondées sont celles des arrivants. Ils s’accrochent au voile parce que l’intégration marche, que les croyances traditionnelles reculent, que les femmes battues portent  plainte, qu’elles choisissent leur mari et de n’en avoir qu’un, que les mariages mixtes sapent les communautés les mieux soudées. Eux ont raison d’avoir peur et de s’exciter parce que l’intégration lime leur ciment. Est-ce leur peur qui nous contamine ?

           

           

            

samedi 7 décembre 2013

ZSP


         Zone de sécurité prioritaire

         La dernière réunion entre le comité de pilotage de la Zone de sécurité prioritaire et un « panel d’habitants » a eu lieu en septembre 2013. Ensuite, nous a précisé Daniel Vaillant, comme « nous entrons en campagne électorale, il n’y aurait plus de réunion de ce type avant le printemps 2014 ».

         Stupéfiante déclaration. Ainsi, les réunions régulières entre des représentants d’habitants, présentées comme l’un des pièces maîtresses du dispositif, ne sont plus que des outils de propagande donc interdits quand s’ouvre la campagne. Tout le reste continue : les patrouilles de police indéterminées, les arrestations aléatoires. Mais les informations apportées par les habitants, présentées comme si précieuses, si centrales, si importantes, si neuves par rapport à toutes les campagnes de police précédentes, sont bloquées pendant six mois, le temps des élections.

         Question : le temps de la campagne, la Goutte d'Or va-t-elle redevenir un quartier ou restera-t-elle une zone ?
          
        


jeudi 5 décembre 2013

ZSP déc 2013

Zone de sécurité prioritaire 2 déc. 13.

         JB habitant Boulevard Barbès, cinquième étage, vient d’acheter plus grand dans le même immeuble. Il est retraité, voyage beaucoup, fait toutes ses courses en dehors de la Goutte d'Or, tourne le dos à la Goutte d'Or, ne connaît pas l’église Saint-Bernard, ni la médiathèque, aucun restaurant. Quand il sort, c’est vers le soleil couchant, vers la butte, vers les cafés de l’autre côté. Il peut acheter un grand appartement, plus de cent mètres carrés, et littéralement ne pas habiter le quartier. Son irritation : les regroupements qui bloquent l’accès à son immeuble, freinent les déplacements vers les métros Barbès ou Château Rouge.

ZB part à la retraite en mars 2014. Elle vend son appartement rue Doudeauville. Comme Jocelyne, Martine, comme Catherine. comme beaucoup, comme combien ? Encore une fois, le mois dernier, il y a bagarre entre les prostituées au bas de son immeuble. Encore une fois, les habitants se sont penchés, ont crié, taisez-vous ! ZB a pris une bassine d’eau froide, l’a jeté par la fenêtre. Elle habite le premier étage. Les prostituées l’ont vue. Elles ont commencé à lui lancer des pierres contre ses vitres. Elle téléphone à la police, qui arrive une demi-heure plus tard. Il y a trois mois, elle se félicitait de la Zone de sécurité prioritaire, car la police arrivait très vite. Aujourd’hui, trois mois plus tard, elle vend son appartement et achète une maison en Normandie, près de sa famille. ZB dit que des gens de son immeuble pourtant plutôt moins réacs qu’ailleurs évoquent l’idée de milices d’habitants pour chasser les prostituées. Elle dit que sa famille, ses enfants, ses frères, ses amis, lui disent depuis longtemps de partir, que ce n’est plus possible. Elle est chez moi, dans mon jardin, protégé, calme, ah ! dit-elle, si j’habitais ici, je ne serais jamais partie.

         Si la mixité est un combat, voici une bataille de perdue. Moi-même, dans mon jardin protégé, depuis l’instauration de la Zone de sécurité prioritaire, je passe beaucoup plus de temps à Biarritz, où je dispose d’un pied-à-cœur. L’âge, les problèmes de santé, les plus grandes difficultés à me déplacer, la fatigue du bulldozer pour accéder au métro, la vérité est que je fatigue. Hier, en haut des marches du métro Château Rouge, trois mendiants assis, étalés, allongés en haut des marches,  occupaient la moitié au moins de la surface d’accès, les porteurs de cannes, les voitures d’enfant, ne peuvent pas passer. A dix mètres, une voiture de police stationne. Dans quelle station de métro parisienne pourrait-on voir cette intrusion, cette atteinte à la liberté de circulation ? Avant la Zone de sécurité prioritaire, ça n’existait pas. Avant la Zone de sécurité prioritaire, les voitures ne stationnaient partout sur les trottoirs. ZB fatigue aussi. Elle aurait pu rester si elle avait trouvé une association pour s’investir. Mais là, la perspective de la retraite, de se retrouver toute la journée, pas seulement le soir, dans cette ambiance, elle n’en peut plus. Encore une bataille de perdue.      
          
         J’accuse la Zone de sécurité prioritaire d’avoir tué les rêves d’avenir, d’avoir remplacé une vision par des patrouilles, d’avoir transformé un quartier en zone où la sécurité est prioritaire, pas l’école, pas l’emploi, pas les cinémas, les instituts de culture d’Islam, pas le centre Barbara. Pas la médiathèque, pas les nouvelles boutiques de mode et de nourriture. Un endroit pour Manuel Valls interdit à François Lamy. Dans les réunions ne parlent que les habitants en colère et le commissaire, le préfet, le procureur. La politique de la ville se tait parce que Zone de sécurité prioritaire et politique de la ville sont contradictoires, s’excluent. Ne peuvent pas coexister.

         J’accuse la Zone de sécurité prioritaire de chasser du quartier mes amis, mes connaissances, mes copains. Et comme j’ai l’âge de mes artères, je me dis parfois que tout recommence. Qui avait envoyé les forces de l’ordre pour résoudre un problème politique, en Algérie ? Qui avait été plus impressionné par les colères des colons, qui n’avait pour seul souci que d’assurer la sécurité d’une minorité vociférante ? J’ai connu la Goutte d'Or avec ses patrouilles de harkis, ses patrouilles de CRS. Je retrouve la Goutte d'Or avec ses patrouilles de CRS et de policiers rembourrés. J’accuse la Zone de sécurité prioritaire de rejouer symboliquement la guerre d’Algérie.  

         La politique réduite à des conflits personnels ou à des victoires électorales s’étiole. Ce qui important, c’est que les discussions, les campagnes, les arguments, les programmes, les décisions, soient des pierres constructrices d’un avenir, d’une pédagogie, d’une réflexion. Que les politiques ne détruisent pas l’avenir, qu’elles ne l’insultent pas. Depuis la Zone de sécurité prioritaire, où est le quartier, où la politique de la ville ?      


samedi 30 novembre 2013

otages

Otage en pays Bojon

Je m’appelle Jean Chevoud. Je suis anthropologue, spécialiste des sociétés en mutation et notamment des communautés indigènes en voie d’urbanisation.  Pour mon travail, je passe beaucoup de temps dans le nord de la région parisienne, où les tribus Bojon sont un excellent terrain d’analyse. Elles occupent un territoire repérable, à partir du Boulevard Barbès jusqu’aux confins de Clichy-la Garenne.

J’entretenais d’excellents rapports avec ces tribus qui survivent par la cueillette et la vente de plantes exotiques, tabac et cannabis, qu’ils revendent aux touristes de la capitale. J’essaye de comprendre aujourd’hui pourquoi le lundi 18 novembre 2013, à quinze heures, un groupe d’hommes en blouses blanches m’a tendu un piège à la sortie de l’autobus 341 et et m’a détenu une pleine semaine dans un local calfeutré. Ils étaient étrangement silencieux. Je ne connaissais pas leur chef, mais autour de lui s’agitaient des guerriers disciplinés que j’avais déjà croisés dans mes recherches. Ils détournaient les yeux quand je les regardais.

Peut-être faut-il revenir en arrière pour bien comprendre l’imbroglio. Un chercheur n’a pas seulement un esprit, une méthode, il a aussi une enveloppe corporelle dont certaines zones se fragilisent et doivent parfois être réparées. Depuis quelques années, des vertèbres arthrosées compriment le nerf sciatique de ma jambe gauche, provoquant des douleurs supportables. Des douleurs insupportables, ça n’existe pas, puisque si elles étaient insupportables, les malades ne les supporteraient pas, or ils les supportent. Ils ne se flinguent pas, ne se défenestrent pas, n’avalent pas des tonnes de morphine. Donc mes douleurs étaient désagréables, mais supportables. Sur l’échelle de Schneider, elles se situeraient à l’échelon sept ou huit. Pour vous dire. J’ai pris du paracétamol, de l’ixprim, du combamal, du tueladouleur, du fédubien, du dafalgan, du lexomil, du laroxil. La douleur revenait. Les séances d’ostéopathie ont permis d’explorer de lointaines banlieues et provoqué des sourires résignés. L’acupuncteur était un Coréen du Nord qui m’offrait un thé parfumé dans une salle d’attente minuscule. Des infiltrations sous contrôle d’un scanner m’ont soulagé le temps de régler la facture. Je me traînais ainsi depuis des mois et des mois entre Barbès et Porte de Clignancourt quand un ami Bojon m’a signalé un chaman imam pasteur gourou guérisseur spécialisé dans les douleurs sciatiques, à Clichy La Garenne. Je lui expliquais que je n’allais pas à mon âge prendre le chemin des grottes de Lourdes. Son visage s’est fermé. Comme tu voudras l’ami.

Cet après-midi du 18 novembre à quinze heures, je me suis rendu comme d’habitude sur mon terrain de recherches, avec mon ordinateur portable et un enregistreur miniaturisé. Descente avec le bus 56 jusqu’à la Porte de Clignancourt, puis autobus 341 jusqu’à l’arrêt cimetière où je descends généralement parce que c’est un arrêt où personne ne descend. Deux grands gaillards en uniforme bleu m’ont saisi chacun un bras, l’un d’eux m’a fait une piqure intradermique qui m’a étourdi. Je ne tenais plus debout. Ils m’ont allongé sur un brancard, saisi les poignées avec vigueur et ensuite je n’ai plus aucun souvenir.

Quand je me suis réveillé, j’étais dans une salle où régnait une animation fébrile. D’autres otages étaient étendus sur des brancards ou sur les lits à roulette. Les uns dormaient, les autres rêvaient ou regardaient autour d’eux d’un air inquiet. S’approcha alors de ma couche un homme en blouse blanche : « alors, c’est ce gaillard qui ne croyait pas en notre médecine traditionnelle ?». Un murmure s’échappa de mes lèvres. Mmmmh, mmmg, mmmt. Rien de très clair. Eh bien, monsieur, voici le protocole auquel vous n’allez pas échapper. Vous allez subir une anesthésie générale. Nous allons vous installer sur un cadre de Cauchoix. Vous n’avez pas de fracture ouverte, nous allons vous en fabriquer une. Non, non, ne protestez pas. Je vais trancher une voie d’accès postérieure médiane. Le secteur lombosacré sera ainsi pleinement exposé. Nous laminerons la partie supérieure de L5 et la partie inférieure de L4. Comme la compression est surtout à gauche, nous dégagerons les deux vertèbres pour exposer les deux nerfs. Nous explorerons ensuite l’étage L2L3. A nouveau, nous dégagerons le canal, laminerons L3 et L2. Comme la compression à ce niveau est surtout centrale, le laminage sera partiel. L’opération aura lieu sous lavage abondant d’un serum bétadiné. Nous refermerons les tissus plan par plan sur un redon aspiratif.

Vous serez autorisé à vous lever dès le lendemain de cette intervention, à condition de vous piquer à votre anticoagulant habituel. Vous aurez le droit de marcher dans les couloirs, dans les jardins, de vous assoir, de vous lever, mais sous surveillance. Tant que nous n’aurons pas reçu la rançon de votre mutuelle, nous vous garderons avec nous.

Il poussa sur le levier de la seringue. Je me rendormis presque immédiatement. Quand je me réveillai, je n’avais aucune idée de l’heure, de la date. De nombreux fils me maintenaient attachés à un lit rudimentaire. Les douleurs les plus aiguës de ma jambe gauche avaient disparu, mais je ressentais une pesanteur accablante au milieu du dos, comme si on avait attaché une haltère à ma colonne vertébrale. Une dame en blanc s’approcha du lit, me tendit un verre à bec d’où je pus boire quelques gorgées. Dans la chambre sombre, un autre otage était étendu et gémissait. J’apprendrais plus tard qu’il se nommait Sébastien, qu’il était géomètre capverdien, employé d’une entreprise de travaux publics. Son cas était plus sérieux, car il était tombé d’un échafaudage, ses vertèbres s’étaient tassées et il ne disposait d’aucune mutuelle. Entre son lit et le mien, on avait dressé une paroi de toile verdâtre, glissant sur un bâton à œillets, qui nous séparait et empêchait toute conversation.

Trois fois par jour, à la même heure, une employée furtive qui manifestement n’avait pas le droit de nous adresser la parole, nous apportait un plateau nutritif. Pour le petit déjeuner, un paquet de pétales de maïs et du café au lait. J’avais demandé du café noir et des céréales. On me servait des pétales de maïs et du café au lait. Je précisais ma demande à la porteuse de pain, elle semblait ne rien entendre. Comme j’insistais, elle me tendit, silencieusement un papier imprimé avec mon nom, ma date de naissance et « menu » : céréales café lait. Je compris. Dans cet ordre-là, j’obtenais des céréales sans lait, que je ne pouvais pas manger, et un café au lait, que je ne pouvais pas boire.

La nourriture était répugnante. Sans sel, sans goût. Nous avions droit à une télévision avec accès à toutes les chaînes, en échange d’un abonnement raisonnable, vingt-neuf euros la semaine. Les soins étaient chaotiques. Le personnel se succédait sans transmission de l’équipe précédente. On me refaisait un pansement étanche qui me permettait de prendre une douche, mais avec interdiction de prendre une douche. Le lendemain, on me faisait un pansement non étanche, avec obligation de prendre une douche. Si j’allais à la douche malgré l’interdiction, ou si je n’allais pas à la douche malgré l’obligation, la chef de service me sermonnait et me lisait la longue liste des dangers auxquels je m’exposais en ne respectant pas les obligations de soins. Je lui objectais que ces obligations variaient avec le personnel et que j’avais du mal à suivre. Elle me relisait lentement le règlement du campement sans commentaire.

Le premier jour, une Kiné de Bojon, reconnaissable à ses bijoux traditionnels,  bracelets, colliers et boucles d’oreilles en pierre de lune, m’aida à me mettre debout et à faire quelques pas dans le chemin broussailleux.  Je ne l’ai plus revue et les jours suivants, je me levais péniblement en me roulant sur le côté sur une jambe allongée, l’autre jambe repliée, comme la Kiné m’avait montré la première fois. Une poire d’appel pendait du plafond, mais elle ne fonctionnait pas et quand je réclamais une pilule antidouleur supplémentaire, je hurlais dans le désert. Pendant ce temps, tranquillement, obstinément, un herpès me trouait l’œil gauche.

J’avais conscience que je ne pourrais pas tenir très longtemps dans ces conditions. Mes ravisseurs m’avaient confisqué mes vêtements et je n’avais à disposition qu’une chemise à fleurs bleu délavée et un slip kangourou, à bretelles. Je n’irais pas très loin dans cet accoutrement. Je décidai de faire semblant. J’acceptais les soins les plus contradictoires, les pansements imperméables et les piqures fluidifiantes, les antibiotiques et les toiles d’araignée. Puisque j’avais le droit de me lever et de marcher dans un rayon de quelques dizaines de pas, je me levais régulièrement, je descendais jusqu’à la machine à café où déambulaient d’autres otages le regard absent. J’entretenais ainsi une activité physique minimale qui pourrait plus tard se révéler utile.


Au bout de huit jours, la chef d’étage me réveilla : nous avons reçu le virement de votre mutuelle. Demain, vous pourrez partir. Vous passerez d’abord une radio de contrôle, une dernière prise de sang. Faites vos paquets, des ambulanciers viendront vous chercher dans la chambre. Elle me donna une décharge à signer. Je m’engageais à ne pas poursuivre mes ravisseurs et les dégageais de toute responsabilité pour les conséquences éventuelles de mon rapt. Ainsi fut-il. A treize heures, deux ambulanciers en uniforme bleu vinrent me chercher. Vous pouvez marcher ? Voulez-vous un fauteuil roulant ? Je pouvais marcher. Je marchais jusqu’à l’ambulance, je m’allongeais sur le brancard. La voiture se mit en route, elle avait tous les aspects d’une ambulance et roula ainsi sans encombre jusqu’à mon domicile parisien. Ils m’accompagnèrent jusqu’à mon appartement et me tendirent un paquet d’ordonnances et de recommandations. J’attendais la presse, les caméras, des embrassades humides, des cris d’admiration. Je n’eus droit qu’à une modeste aide de vie efficace et amicale avec qui j’ai depuis noué des relations durables. Son salaire était pris en charge par un comité local de solidarité à l’égard des otages du territoire Bojon. Je lui faisais entièrement confiance jusqu’au jour où je découvris, en ouvrant par mégarde la porte de la salle de bains, qu’elle portait autour du cou un collier en pierre de lune. 

mercredi 27 novembre 2013

de quoi mao est-il le nom?


Un couple d’anciens militants maoïstes ont créé à Londres, dans les années 1970 un squat communiste le « Mao Zedong Memorial Centre ». L’homme avait membre dirigeant du Parti communiste léniniste anglais, puis exclu en 1974 pour activités conspiratrices et séparatrices. Ils ont maintenu trois femmes en esclavage pendant trente ans.

Cette histoire courte raconte l’histoire longue du communisme. Une avant-garde éclairée prend le pouvoir. Maintient le peuple en esclavage. Des luttes de faction, des exclusions. Le système s’écroule.


Les anciens militants mao vont sans doute passer en jugement. Je suggère à leur avocat de demander à Alain Badiou d’être leur témoin de moralité.

hôpital

Hospitalisé entre le lundi 18 novembre et le lundi 25 novembre à l’hôpital Beaujon. Les consultations de préparation à l’intervention, les renseignements donnés m’ont donné toute satisfaction. L’intervention a été efficace et les objectifs ont été atteints. Pourquoi alors reste-t-il de mon séjour le sentiment aigu de ne pas avoir été traité comme il fallait ?

         S’agit-il de l’environnement ? Une chambre à deux lits. Sans toilettes et sans douche. Des toiles d’araignée, des stores qui tenaient avec des bouts de scotch ? Sans doute. Je ne parle pas de la nourriture. Plus grave : la sonnette d’appel en panne.    Mais surtout, un énorme déficit de communication. Après l’intervention, des visites rapides et rares d’un interne. Des informations qui ne passaient pas entre les équipes. Une ordonnance de sortie donnée aux ambulanciers, même pas au malade. Aucune visite de sortie.

Il vaut mieux être bien soigné dans une ambiance glauque que charcuté au Ritz. J’ai été bien soigné. Mais une équipe d’excellence qui travaille dans un environnement dégradé se voit atteint dans son excellence.


Plus généralement, il me semble important que les lieux d’accueil des personnes en difficulté, médicale ou sociale, ne soit pas le miroir des difficultés accueillies, mais projette au contraire les images d’une sortie du tunnel. Des locaux propres et accueillants, des personnels compétents et disponibles, une cafeteria proche, sont aussi nécessaires que l’eau fraîche.

dimanche 17 novembre 2013

paroles

            Je cherche des mots qui pourraient empêcher le glissement de la société française hors du politique. Des mots que j’aimerais entendre des gouvernants que je soutiens.

            Nos sociétés –je veux dire nos sociétés occidentales, celles où je vais me faire opérer gratuitement d’un pincement de vertèbre très handicapant, celle où la fille sourde d’un ami a un implant électronique, je n’ose pas vous en dire le prix, pour retrouver le lien avec le monde, gratuitement, celle où les enfants vont à l’école maternelle et primaire et secondaire gratuitement- ont une histoire. Elles se sont développées dans le bruit et la fureur. Ni en ville, ni à la campagne, les maîtres des terres et des forges n’acceptaient l’organisation des personnes qui leur étaient soumises. Les maîtres employaient la force brutale pour empêcher toute organisation, paysanne ou ouvrière. Ces luttes ont duré longtemps, trop longtemps. Tant que les maîtres refusaient l’organisation de leurs vassaux, les seules négociations étaient fondées sur l’affrontement brutal. Jacqueries, incendies des récoltes, mutilation du bétail, se multipliaient et faisaient partie de ce que l’historien Eric Hobsbawm appelait la « négociation collective par l’émeute ». Les bandits sociaux, Robin des Bois, Zorro, Mandrin, font partie de l’imagerie de ces révoltes populaires. Du côté ouvrier, on brisait les machines, on tabassait les contremaîtres sadiques, on incendiait les marchandises. Ces « négociations » furent finalement remplacées par des rencontres entre organisations représentatives. Des syndicats, des Ligues paysannes, des fédérations patronales. Les rapports de pouvoir n’en furent pas fondamentalement changés, mais il fallut donner des avantages pour assurer une certaine paix sociale. Des systèmes de retraite et de sécurité sociale se mirent en place. L’État providence redistribuait une partie des richesses du pays. Cette histoire n’a nulle part été tranquille.

            Dans certains cas, le réformisme n’a pu s’implanter et a été relayé par un courant révolutionnaire visait à la destruction d’une des parties du conflit. Ce courant révolutionnaire a pris le pouvoir en Russie, en Chine. Dans les pays de l’Empire soviétique. Il a réussi à Cuba. Au Zimbabwe, les terres ont été redistribuées et la famine s’est installée. Au Venezuela, les révolutionnaires sont en train d’organiser la ruine économique et la division du pays. Partout, ce fut la catastrophe dont nous connaissons les résultats économiques et humains. Certains en rêvent encore, dans les livres et dans les colloques.

            Le niveau de vie des populations occidentales fut assuré pour une partie non négligeables par l’exploitation des richesses et des personnes  contrôlées par un système colonial qui voulait par ce biais retrouver un pouvoir sans partage sur la main d’œuvre et les matières premières. Ce système s’est écroulé, les pays soumis sont devenus indépendants et désormais, commencent à concurrencer les pays occidentaux. L’Inde et l’Afrique se réveillent. Les anciens pays communistes, dont l’économie était paralysée par une bureaucratie étouffante deviennent à leur tour des concurrents redoutables. Nous ne reviendrons plus à un système de pillage et d’exploitation dont ont profité pour une part les classes laborieuses des pays coloniaux. C’est T E R M I N E.

            Toutes les difficultés doivent désormais s’affronter à un niveau international et européen. Partout poussent les solutions et les réformes qui mutualisent les compétences, qui atténuent les concurrences désastreuses : communauté de communes, territoires régionaux, organisations européennes et timides organisations mondiales. Pas d’autre issue que des regroupements, ces mises en commun des richesses et des investissements qui permettront seuls d’éradiquer les paradis fiscaux, de combattre les égoïsmes des riches et les populismes des moins riches.

            Pas d’autres issue parce que les solutions individuelles, communales, régionales, nationales, n’existent plus. Ni dans le domaine écologique, le climat est sans frontière, ni dans le domaine des migrations, les frontières ne seront plus jamais imperméables, ni dans le domaine économique et de la protection sociale. Désormais, le niveau de vie les plus bas devront monter pour que montent les niveaux de vie du monde, la pollution la plus forte devra être combattue pour que diminue les dangers climatiques de tous.

            C’est dans ce contexte que se joue la politique, en France, en Europe, aux États-Unis. Pour un candidat, affirmer que la solidarité internationale dans tous les domaines est dans l’intérêt de tous est le plus sûr moyen d’être battu aux élections, de chuter dans les sondages, de ne pas être réélu. Les meilleurs peinent. Et pourtant, c’est la voie qui me semble juste. Il n’y en a pas d’autre ? Bien sûr que si. La fermeture des frontières, comme en Corée du Nord, pas d’immigration illégale, pas de main d’œuvre clandestine, pas de délinquance dans les rues de Pyongyang. Là bas, Maring il Peng est au pouvoir. Sans aller jusqu’à ces extrêmes, on peut imaginer aussi une droite obstinée et autiste sur laquelle viendrait déferler des manifestations de colère sans lendemain.

            C'est pourquoi je fais partie des vingt pour cent qui soutiennent  François Hollande.  


              

samedi 16 novembre 2013

identités

Identités



            Quelles sont les conditions pour que les cyclistes ne mènent pas une guerre permanente contre le reste de l’humanité : les piétons qui prennent la piste pour un sentier forestier, les motocyclistes pour un circuit de compétition et les voitures pour un parking ? Les poussettes sont un cas particulier, non pas pour des raisons techniques, car elles correspondent à la définition : un véhicule à roue sans moteur mu par l’énergie humaine. La différence gît dans la relation entre le transporté et le transporteur. Nous souhaitons parler ici des instruments de déplacement où transporté et transporteur sont une seule et même personne. Nous refuserons et laisserons à d’autres le soin d’analyser les taxi-vélos, les pousse-pousse ou rickshaw, les fauteuils-roulants pour handicapés. Sont en cours d’examen les systèmes d’aide à la motricité fait d’un guidon et de petites roues pneumatiques que l’usager pousse devant lui. Certains rescapés d’un accident de la route réapprennent à marcher  avec des déambulatoires auquel il suffira dans quelques semaines d’ajouter des pédales et une selle pour les transformer en tricycle. À quel moment pourront-ils considérer qu’ils correspondent à ma définition ? Après tout, certains cyclistes se déplacent à vélo parce qu’ils sont incapables de marcher. Ils ne sont pas très différents d’un cycliste-cul-de-jatte qui s’est bricolé un vélo adapté. Sont exclus aussi les cercueils à roulettes et les brancards à assistance solaire qui sont plus proches des pousse-pousse.


            Il faut d’urgence créer un ministère de l’identité cyclable. 

mardi 12 novembre 2013

feux de ville



        

         Dans l’ombre de mon bureau éclairé par une lampe à bras télescopique et par un brumeux lampadaire derrière les toits mitoyens, je prends les manettes du monde et je fais ce que je sais faire, à l’exclusion de toute autre activité qui m’a de tout temps été interdite, je conduis les affaires du monde.

         Avec prudence, car les petites affaires du monde que j’ai personnellement conduites ne se sont pas révélées des succès foudroyants. Affaires personnelles et affectives, carrière universitaire, lancement de nouvelles orientations dans les lieux où je pouvais jouir d’une certaine influence, dans l’ensemble, j’ai beaucoup parlé, peu agi et encore moins réussi. Donner des conseils, critiquer, dire ceci est bien, ceci est moins bien, je l’ai toujours pratiqué avec ardeur. Est-ce au nom de cette expérience que je peux ainsi distribuer des certificats ?

         Je constate que la gauche au pouvoir est à la peine. Les temps sont durs, les succès furtifs, les réformes bousculent les habitudes. Une gauche fragilisée, une droite divisée, tentée par les extrêmes. Est en train de se jouer l’alternance historique entre une droite républicaine et libérale et une gauche réformiste et solidaire. Des colères éclatent en dehors des grands courants historiques. Ce n’est pas nouveau, mais ils doivent être surveillés comme la cocotte sur feu vif. Ou ça crame ou ça déborde.

         La politique a des effets dans la vie quotidienne. On vit plus ou moins bien, plus ou moins de confort, plus ou moins de santé, plus ou moins de tranquillité. Des dirigeants comme Margaret Thatcher ou Ronald Reagan, Poutine aujourd’hui, ont rendu leur société plus inconfortable, plus tendue. Barak Obama, Mendès France, John Hume, Nelson Mandela, se sont adressés à l’intelligence des peuples et les ont rendu plus citoyens, plus actifs.

         La politique prise dans ce sens doit s’inscrire dans la durée, dans ses effets continus. Si s’installe en France l’idée de l’incompétence de la gauche à gouverner, cette idée peut empêcher l’alternance nécessaire entre gauche et droite. Pour longtemps. Et donc instaurer un système unique dont les effets ne peuvent être que catastrophiques. Nous avons tellement l’habitude de l’alternance que nous pensons être immunisés pour toujours d’un pouvoir sans limite.


         Pour moi, l’important n’est pas d’être réélu en fin de mandat, mais d’avoir rendu les citoyens plus intelligents, plus actifs. Donc de leur avoir parlé le langage de la raison, de l’intelligence, de la vérité. D’expliquer. Manque aujourd’hui le discours de la méthode. Sur la crise, sur l’implication en Europe et dans le monde. Sur les sacrifices et les solidarités nécessaires, sur les choix qui sont l’essence du politique. Sur l’implication des citoyens dans ces choix et dans ces solidarités. Une feuille de route qui sera répétée autant de fois que nécessaire. Le parti socialiste semble inapte à la pédagogie politique. Nous roulons dans la bonne direction, en feux de croisement, les projecteurs longue portée éteints. 

dimanche 10 novembre 2013

à nouveau Gaby Mouesca

            
            Suite à un entretien de Gaby Mouesca publié dans La semaine du Pays basque  du 11 octobre, j’avais envoyé un certain nombre de questions. Simples. D’une part, selon Mouesca, Madrid et Paris n’ont jamais été aussi opposés aux revendications abertzale et c’est pour cette raison que l’ETA a déposé les armes. Je ne saisissais pas bien la logique et je ne la saisis toujours pas. Je n’ai pas eu de réponse sur ce point.

            D’autre part, dans son entretien Gaby Mouesca appelait à voter pour n’importe quel parti, sauf les socialistes. Les sociaux-démocrates comme ennemis principaux des révolutionnaires, ça me rappelait quelque  chose dans l’histoire moderne. J’ai posé la question et je n’ai pas eu de réponse sur ce point.

            Fondamentalement, la question politique qui est ici ouverte est la suivante. Dans certaines régions du monde, les mouvements nationalistes se sont inspirés des théories avant-gardistes et léninistes. Une avant-garde d’hommes déterminés doit frapper un grand coup pour réveiller un peuple endormi et lui imposer ses solutions par la force et la terreur s’il le faut. Ces théories ont imprégné l’ETA, l’IRA, et ont plongé ces régions du monde dans la terreur, ont fait de nombreuses victimes pendant des dizaines d’années. Or, la terreur politique a obtenu des résultats inverses à ses objectifs. . De tous les nationalismes occidentaux, ceux qui ont pris le plus de retard sont ceux qui ont recours à la voie armée. La réunification de l’Irlande est désormais lointaine, l’indépendance du Pays basque est un objectif à l’horizon. Les pays qui sont le plus proches d’une indépendance sont ceux qui ont refusé la terreur : c'est à dire le Québec, la Catalogne et l’Écosse ; Dans ces pays, les mouvements nationalistes ont été démocratiques, respectueux de la volonté majoritaire, ont cherché à conquérir les esprits  par un travail de conviction, jamais par la terreur. Ça ne doit pas faire réfléchir ?

            En tout cas, ça ne fait pas réfléchir Gaby Mouesca. Gaby Mouesca reste imprégné des théories léninistes et des coutumes communistes. Jusque dans le détail. Lorsqu’il dénonce les « donneurs de leçons » qui « du fond de leur bureau cossu », assistent passivement aux luttes des peuples, c’est mot pour mot, ce que Georges Marchais disait des « intellectuels derrière leur bureau » à la suite de la rupture du programme commun et de la défaite de la gauche en 1978. Merci cher Gaby de m’avoir ainsi rajeuni de plus de trente ans.


            

quelqu'un peut-il répondre?






            Je préfère mourir que de vivre « comme ça ». « Comme ça » varie selon les individus, mais chacun comprendra. La difficulté, c’est qu’au moment où vivre « comme ça » s’installe, on ne peut plus rien décider. Tant qu’on peut décider, la vie vaut la peine. Quand on n’est plus en état de décider, c’est alors que la vie ne vaut plus la peine d’être vécue. C’est même cette incapacité qui indique que la vie ne vaut plus la peine d’être vécue. Je cherche une solution. 

universelles muncipales

            

            Max Brisson est le secrétaire furtif de l’UMP (Union pour un Mouvement Populaire) des Pyrénées-Atlantiques. Un avion furtif est un avion qui est construit pour échapper aux radars. Max Brisson est secrétaire furtif de l’UMP car il s’est débarrassé de tout slogan et de toute affiche qui pourrait le faire repérer comme responsable de l’UMP.

            Max Brisson retrouve son uniforme pour soutenir  le candidat UMP à Pau lui-même soutenu par Jean-François Copé. Alain Juppé (maire de Bordeaux et membre de l’UMP)  soutient François Bayrou du MODEM dont le parti vient de fusionner avec l’UDI de Jean-Louis Borloo.

            Dans la bataille qui se mène au sein de l’UMP entre une droite dite « décomplexée », et une droite humaniste, Max Brisson se situe donc plutôt du côté de Jean-François Copé.

            Biarritz a été gouvernée, sous la houlette de Didier Borotra, par une majorité plurielle qui a développé une ville apaisée. Le retour aux affaires du candidat UMP serait une régression majeure, un retour aux clans et aux sectarismes que les anciens ont connu et dont ils se sont débarrassés grâce à des alliances improbables. 


            Mon ambition ici est de rendre le local universel, de comprendre le local en le confrontant à l’universel, de bousculer le local en le transformant en pièce de puzzle pour la grande carte du monde. Je dois avouer que l’objectif est difficile. Mon ami qui vit au Pays de Galles, un autre ami qui vit au Bangladesh, une amie qui vit à Gijon, auront sans doute du mal à saisir la complexité de la situation politique à Biarritz. Mais j’essaye.

vendredi 1 novembre 2013

logique

     Personne ne dit d’un bébé qu’il a zéro an, alors qu’il faut attendre un an pour qu’il ait un an. Si on nous donnait à la naissance l’âge de notre mort, on commencerait par 92, par exemple, puis 91, puis moins un jusqu’à la fin, et à l’enterrement, on aurait zéro an. Je trouve que ce serait plus logique.

mercredi 30 octobre 2013

Gaby Mouesca



            Dites-moi si j’ai bien compris l’entretien de Gaby Mouesca paru dans La Semaine du Pays basque  le 11 octobre 2013.

            Madrid et Paris ne veulent pas la paix au Pays basque. On dirait qu’ils veulent maintenir une situation de violence, en criminalisant les militants abertzale. Entre droite et gauche, entre Sarkozy et Hollande, « il n’y a pas l’ombre d’un changement ». L’espérance est morte.

            Face à ce raidissement, l’ETA a renoncé à la lutte armée et « mise uniquement sur l’utilisation des armes de la démocratie ». Le lecteur peine à suivre la logique. Mais il ne va pas bouder la bonne nouvelle, qui est de soumettre les objectifs nationalistes au vote. Comme au Quebec, comme en Écosse.  Il n’est jamais trop tôt, mais il n’est jamais trop tard.

            Cette renonciation est un « pari dingue ». Pas une renonciation de principe. Un « pari dingue ». Ça va marcher.   Pourquoi? Parce qu’il y a une « petite lumière ». Parce que le Pays basque est « le peuple le plus ancien d’Europe », parce que la langue basque est toujours là. Cette lumière qui scintille, c’est quelque chose qui est dans l’ADN de la nation basque. Cette lumière qui scintille aujourd’hui et permet ce « pari dingue », si seulement elle avait pu scintiller trente ans plus tôt, elle aurait évité des centaines de morts et de prisonniers.

            Et maintenant ? Pour les municipales, Gaby Mouesca n’a aucun conseil à donner. Les électeurs «n’ont pas de leçon à recevoir de ma part ». Ils peuvent voter comme ils veulent. UMP ou Front national. Tout sauf socialiste.

            Pour le Parti communiste allemand, dans les années 1930, l’ennemi principal était la social-démocratie. Pas ceux qui revendiquaient un ADN scintillant pour leur peuple.



mardi 29 octobre 2013

insécurité

            Habitant de la Goutte d'Or, militant socialiste à CGO, je me permets d’intervenir dans la discussion récurrente sur la saleté et l’insécurité dans les stations de métro Lamarck et Marcadet Poissonniers, sur la présence des usagers de drogue qui mettent en danger « la santé de milliers de gens ». Une situation qui « dans certaines stations de l’ouest parisien ne serait pas tolérée par la RATP plus de vingt-quatre heures ». Rue des Portes Blanches, les citoyens vivent « dans les excréments et la prostitution ». La population porte des masques pour ne pas vomir et ne pas chopper des maladies diverses telles la tuberculose. « Les habitants de la résidence sont prêts à voter FN ».

            Quand un quartier sombre dans la galère et que les habitants avec un minimum de ressources l’abandonnent au pire, il ne reste plus personne pour protester. Les colères contre les différents modes de survie engendrés par la misère extrême sont précieuses. Elles disent que le quartier veut vivre. Ceux qui sont relativement intégrés ne supportent pas les incivilités, les délinquances, les bruits, les saletés. La protestation véhémente contre ces dysfonctionnements est l’indice d’une volonté citoyenne de s’approprier ou de se réapproprier l’espace auquel une partie de la population affirme avoir autant droit que dans les quartiers plus favorisés.

            Le phénomène est bien connu. Des salariés ne veulent pas quitter Paris. Ils cherchent des quartiers où les loyers sont plus bas. Ce ne sont pas des quartiers huppés. Ils savent où ils vont quand ils louent ou achètent. Quand j’ai acheté mon logement, j’ai fait le tour du quartier. J’ai vu les taudis, les habitats insalubres, les drogues et la prostitution. En vingt ans, les taudis ont été détruits, les habitats insalubres remplacés par des logements neufs. J’ai vu construire une médiathèque, un centre de musique. Tout ce qui va mieux nourrit la colère grandissante contre ce qui va mal. Plus le quartier se transforme, plus le niveau de tolérance baisse. Mais il faut savoir raison garder. Nous n’aurons pas tout de suite et peut-être jamais le quartier dont nous rêvons.

            La prostitution et la consommation de drogues ne sont pas des phénomènes qui disparaissent en soufflant dessus. Même fort. On a soufflé fort dans le quartier Château-Rouge. Une partie des nuisances s’est reportée sur Marcadet et Lamarck. 

            Les « solutions » sont un travail patient, permanent. Sur la réinsertion des prostituées, le démantèlement des réseaux de prostitution, des réseaux de deal de marchandises contrefaites, et des drogues. Une salle de consommation, des lieux de réduction des risques. Tout le monde est au courant. C’est un long travail. Un travail de Sisyphe. Quand on voit ce travail, on comprend mieux. Ces lieux sont ouverts aux habitants : allez voir EGO rue Saint-Bruno, allez voir STEP Boulevard de la Chapelle. Ils vous expliqueront leur travail.

            La politique consiste à politiser les galères individuelles, et non pas et non pas à légitimer les peurs, d’alimenter les colères, de les conduire vers les impasses des solutions simples. De ce point de vue, le classement en Zone de sécurité prioritaire de la Goutte d'Or est une catastrophe, car il remplace ce travail patient, continu, par un déploiement de policiers parfaitement inefficace, qui nourrit rancœur, impatience, démoralisation. Comme si les principales difficultés du quartier étaient dues à l’insécurité. On m’a souvent répondu que la Zone de sécurité prioritaire comprenait aussi un volet insertion et travail social et politique de la ville. Balivernes. On ne voit que la police. Et quand  un ministre vient visiter le quartier, ce n’est pas François Lamy, ministre chargé de la ville, mais Manuel Valls ministre de l’intérieur. Et dans les réunions, c’est le préfet et le commissaire qui parlent et pas les élus chargés de la politique de la ville.

            Il y a en ce moment une véritable folie apeurée dans un pays qui n’est pas le moins sûr en Europe et dans le monde. Dans les endroits les plus tranquilles, on demande caméras de surveillance et patrouilles de police. Ainsi se trouvent dévalorisées les colères légitimes, les situations vraiment inquiétantes. Mais même là où se trouvent des urgences, il faut faire de la politique. La « guerre contre la drogue » a été mondialement un énorme échec. Tous ses principaux responsables disent aujourd’hui que la seule réponse réside dans la légalisation qui permet contrôle de la consommation, comme pour l’alcool et le tabac, drogues dures qui peuvent être combattues parce qu’elles sont en vente libre. Quand les usagers de drogue trainent dans les quartiers, la seule réponse réside dans des lieux de consommation à moindre risque, pour les usagers comme pour les habitants.

            Si rien n’est fait, les habitants vont voter Front national ? Allons-donc. Le vote front national n’a rien à voir avec l’insécurité, l’insalubrité. Se résigner ? bien sûr que non. Protester, réfléchir, trouver des solutions, expliquer. Quand c’est trop dur, on peut partir. Mais dites-moi en quoi la présence d’un consommateur dans la rue fait-il voter Front national ? En quoi les voyageurs de Lamarck vont voter à droite parce qu’il y a des drogués dans le métro ? J’habite la Goutte d'Or, je traverse quotidiennement des usagers à la dérive et je vote socialiste. Pourquoi ?


lundi 28 octobre 2013

ZSP

Zone de sécurité prioritaire

            22-23-24 octobre 2013. La situation est la même : les vendeurs à la sauvette qui rendent l’accès au métro inaccessible, une ronde de policiers, ils partent, reviennent, avec baluchon, caddy et charbons pour maïs chaud, contrefaçons. Plus les usagers de drogue qui eux ne bougent pas. Toujours les mêmes difficultés pour accéder au marchand de journaux, se frayer un chemin. Jouer des coudes. Demander pardon, pardon. Crier pardon ! Pardon ! Une envie d’actionner une sirène hurlante pour  dégager la route.


            Puis je rentre. Je regarde le monde d’un autre point de vue. Et je me dis, je suis le même, mais confortablement installé devant une tasse de café, donc je ne suis plus le même, et je me dis : « après tout, franchement, regardez les infos, il vaut mieux, quand même, je sais que ce n’est pas juste, mais je me le dis quand même, franchement, si j’avais le choix, entre flotter entre deux eaux au large de Lampedusa et être balloté par des vagues de patrouilles policières, qu’est-ce que je choisirais ?  

lundi 21 octobre 2013

mixité sociale


            Pour Annie Clerval ‘Libération 19-20 octobre 2013),  la gentrification de la capitale. s’est faite aux dépens des classes populaires. Un processus d’exclusion que la politique du logement mené par la municipalité de gauche a ralenti, mais  pas enrayé.

            La gentrification est définie comme un embourgeoisement qui touche les quartiers populaires anciens où les classes populaires sont progressivement remplacées par une classe intermédiaire, la petite bourgeoisie intellectuelle. Elle rompt la fonction historique de ces quartiers populaires. Ils sont terre d’accueil, une force, un tissu de solidarité, une ressource commerciale dynamique. En les faisant disparaître, on ne change pas l’ordre social. On aggrave les inégalités. La gentrification ne change rien au quotidien des classes populaires. Au contraire. Leur situation s’aggrave. Les loyers augmentent, les prix montent. Sur les murs de mon quartier, cette analyse se traduisait en affiches : « La mixité sociale, c’est la guerre faite aux pauvres ».   

                        Les gentrificateurs ne s’installent dans ces quartiers que sous la contrainte du marché immobilier. Ils ne choisissent pas d’habiter un quartier mixte, mais d’habiter Paris coûte que coûte. En fait, ils ne pratiquent pas la mixité sociale, mais la sociabilité entre soi et l’évitement scolaire.

            Je me reconnais dans ce portrait. Je suis un gentrificateur. Prof de fac retraité, j’habite la Goutte d'Or. Je ne pratique pas la mixité sociale. J’ai choisi ce quartier sous la contrainte du marché immobilier. Si j’avais des enfants d’âge scolaire, je choisirais sans doute l’évitement des écoles publiques.            

            Si le portrait est juste, l’analyse me semble erronée.  

            Dans la Goutte d'Or il y avait des taudis, propriété de marchands de sommeil ils ont été détruits et remplacés par des logements neufs, privés ou locatifs, dont un certain nombre de logements sociaux. Il y avait des maisons closes avec des migrants qui faisaient la queue dans la rue (était-ce une ressource commerciale dynamique pour la ville ?). Ils ont disparu. Quand les bidonvilles ont été détruits, des militants ont protesté. Ces bidonvilles étaient des facteurs d’intégration, des réseaux de solidarité, de construction de la citoyenneté.
           
            Chaque fois qu’un quartier s’améliore, les loyers grimpent, les populations changent. Quand il reste ghetto ou bidonville, les loyers baissent, les catégories intermédiaires fuient, Ne rien faire, c’est rassembler les difficultés, les misères, les galères, dans des lieux à la dérive, aboutit à la pire des solutions : des ghettos de la misère.

            Les plus acharnés contre la mixité sociale sont les classes supérieures qui luttent contre toute présence de logements sociaux ou de lieux de solidarité sur leurs terres. Les plus accueillants à la mixité sociale sont ceux qui saluent l’installation de médiathèques, de cinémas, et l’arrivée de nouvelles couches sociales plus favorisées comme  une protection contre les dérives. Ont-ils tort ?


            Anne Clervel découvre que toutes les réformes sociales profitent d’abord aux catégories les moins démunies. Fallait-il pour autant renoncer à construire un État-Providence ? 

samedi 19 octobre 2013

les migrants

         Les morts de Lampedusa, les expulsions d’écoliers. L’émotion est forte. Les militants signent des pétitions contre les expulsions, accompagnent les démarches dans les administrations, parrainent des écoliers. Les lycéens manifestent. Des cas particuliers seront sans doute réglés. Il reste un immense sentiment d’impuissance devant la misère qui s’étale dans nos rues, mendiantes avec les enfants dans les bras. Étalés sur nos trottoirs la hiérarchie de la pauvreté. Des commerçants modestes, des biffins et tout en bas de l’échelle, les revendeurs des épiceries sociales.

         L’émotion individuelle et collective ne se discute pas. Les indignations, les pétitions, les manifestations, les aides ponctuelles, sont précieuses, mais ne fondent pas spontanément pas une orientation politique. Le travail d’un parti politique est de politiser les émotions. De les inscrire dans le monde, les frontières, les projets, les évolutions.

         Pendant la révolution industrielle, les ouvriers dormaient dans des fossés autour de l’usine. Les indigents étaient regroupés dans des asiles ou des hôpitaux dont la philosophie était universelle : pour ne pas créer des « assistés », des gens qui « profitent », il fallait que les conditions de vie dans ces asiles fussent pires que les pires conditions de vie de ceux qui travaillaient. Chaque paroisse s’occupait de « ses » pauvres. Si des migrants, on disait alors des vagabonds, réclamaient de l’aide, on les renvoyait dans leur paroisse d’origine. Les impôts locaux devaient subvenir aux besoins de la paroisse, pas aux besoins des indigents de la commune voisine.

         Sous la pression conjuguée des mouvements sociaux, des philanthropes, des églises, un système de protection sociale se mit en place. Des retraites, des soins, des écoles, des logements. Mais L’État providence ne fonctionnait que pour les citoyens de cet État. Les papiers d’identité se répandirent avec les systèmes de sécurité sociale. Ils séparaient ceux qui avaient droit aux prestations et ceux qui n’y avait pas droit. Pendant des années, les mineurs belges qui travaillaient dans le nord de la France ne participaient pas au régime des retraites des mineurs français. Il a fallu du temps pour considérer tous les citoyens dignes de recevoir partout dans le pays le même traitement social

         Aujourd’hui, l’objectif est non plus un État providence, mais une Union européenne providence. Cette protection peine à se mettre en place. Les citoyens européens qui traversent les frontières sont souvent considérés comme des étrangers. Ils sont pourtant destinataires au même titre que les autochtones des minimums d’aide sociale et éducative. Salaire minimum, scolarité obligatoire, logement et soins. Une partie des pauvres qui arpentent nos rues ne sont pas des étranges, ce sont des européens. Comme vous et moi.

          Il faut aller plus loin, considérer tous les habitants de cette planète comme dignes de recevoir une aide sociale, sanitaire, éducative, universelle. Pour distribuer cette aide, il faut des administrations au niveau de la planète. La mondialisation des filets de sécurité n’en est pas au point zéro. Dans le domaine de la santé, de la lutte contre les épidémies, contre le Sida, des points sont marqués. Les émotions et les actes de solidarité avec les populations migrantes sont l’indice d’une plus grande aspiration à un monde solidaire. Qui reste à construire. Qui demande une pédagogie permanente contre les diffuseurs de haine.

          

mercredi 16 octobre 2013

identité

Alain Finkelkraut, France inter 15 octobre 2013

            Une dame qui vit en banlieue le déplore : elle est entourée de gens qui ne parlent pas le français, de femmes voilées et ne se sent plus chez elle. Alain Finkelkraut reprend le témoignage. « La faute de la gauche a été d’abandonner cette femme au Front national ».

            Je vis dans la Goutte d'Or, je suis entouré de gens qui ne parlent pas le français, de femmes voilées et pourtant je me sens chez moi et je vote à gauche. Socialiste, pour être plus précis.

            Quand l’intégration fonctionne, elle passe par une intégration sociale (famille, école, travail) et par l’adhésion aux valeurs d’accueil. Intégration dans la citoyenneté par les adhésions politiques : le socialisme et le communisme, le syndicalisme, en France…). Quand l’intégration est refusée, et l’on connaît les multiples facettes de ce refus, elle se produit quand même, mais elle répond à la brutalité du refus par les ruses des faibles. Ainsi, aux États-Unis, le modèle dominant dans les classes du même nom était celui du WASP. (White anglo-saxon protestant). Les Noirs ne pouvaient pas devenir blancs, les Chicanos ne seraient jamais anglo-saxons, les catholiques ne souhaitaient pas devenir protestants. Pour se hisser jusqu’aux lieux de pouvoir, il fallait passer par des réseaux communautaires. Les syndicats étaient « communautaires », catholiques, protestants, irlandais, polonais, les églises ne l’étaient pas moins, et Irlandais, Polonais et Italiens ne fréquentaient pas les mêmes paroisses. Qui dirigeait ces rassemblements pouvait peser sur la politique. New York et Tammany Hall furent symptomatiques de cette politique communautaire. D’où ce paradoxe, pour devenir américain, il fallait s’intégrer dans des communautés religieuses ou nationales séparées. D’autres régions du monde ont connu les mêmes développements. En Irlande du Nord, il fallait être protestant pour accéder aux affaires et à la politique. Pour s’intégrer dans les affaires et la politique, il fallait que les catholiques utilisent leur identité catholique comme moyen de lutte et de développement.


            Sans lâcher un pouce sur la laïcité, il faut admettre que la montée du communautarisme est d’abord un manque, une défaite, des processus d’intégration. Finkelkraut est bien placé pour étudier ce manque. Professeur à l’École polytechnique, il peut constater que les futures élites de la nation se recrutent dans une couche très mince de la population française. 

vendredi 11 octobre 2013

ZSP

Château Rouge jeudi 10 octobre 2013 17h30.



Je descends à Château Rouge. L’escalier mécanique est fermé. Il faut monter les marches. La foule est compacte en bas de l’escalier et déborde sur le quai. Nous avançons lentement, très lentement. En haut, devant les tourniquets, deux employés en vestes jaunes empêchent les entrées. De l’autre côté, une foule agglutinée qui demande à descendre. A gauche, quatre ou cinq policiers regardent,  l’air intéressé. Par deux portes étroites, les sortants s’extirpent de la mêlée et finissent par grimper les dernières marches. Tout le monde est étrangement calme. Pas de cris, pas d’énervements. Tout le monde est conscient que dans ce chassé-croisé, il suffirait d’un mouvement affolé d’une seule personne pour que tout dérape et provoque des dégâts incalculables. La Goutte d'Or est un quartier où l’on apprend vite à survivre dans les pires conditions. Un lieu d’apprentissage. 

le Front

Le Front national poursuit en justice tous ceux qui le qualifieront de parti d’extrême-droite. Pour réagir à cette menace, les journalistes, les hommes politiques, ont répété à qui mieux« Front national, extrême droite ».


Tous sont tombés dans le piège. Au lieu d’examiner le programme, on colle une étiquette. Or, le programme du Front national est précis. Il est national en politique et socialiste en économie. C’est donc un parti national et socialiste à l'ancienne. Dire que le Front national est national et socialiste est plus rigoureux et évite d’être poursuivi en justice. 

mercredi 9 octobre 2013

assistés

     Chaque fois que je m’arrête dans une rue de Biarritz, pour acheter le journal ou une baguette de pain, je pose mon solex contre le mur et chaque fois, je constate un attroupement de personnes intéressées autour de mon solex. Quand je pose la main sur le guidon, quand je range le journal ou la baguette dans la sacoche, les questions fusent. Il est à vous ce vélo ? Est-ce que ça marche bien ? Est-ce que c’est pratique ? Combien ça coûte ? Où l’avez-vous acheté ? Une personne à la fois s’il vous plaît. Oui, ça marche. C’est très pratique, surtout à Biarritz où les côtes sont rudes et les habitants fatigués. Chez Capdeboscq. Mais dépêchez-vous, il va fermer. Il est en train de brader. Non, ce n’est pas un vélo électrique, c’est un vélo à assistance électrique. Quelle est la différence ? Je pousse un soupir. Enfin. Vous ne connaissez pas la différence entre un engin à assistance et un engin électrique. J’explique. Un vélectrique  fonctionne comme n’importe quel transporteur sauf que l’essence est remplacée par une batterie. Vous montez, vous allumez, vos pieds posés sur des repose-pieds et vous accélérez, vous changez de vitesse. Sauf que ça ne fait pas de bruit et il faut se racler la gorge ou se moucher vigoureusement pour prévenir le piéton qui va traverser ou l’enfant qui joue au ballon sur la chaussée.

            Avec un Vélassistancélectrique, si vous ne pédalez pas, la puissance de la batterie ne se met pas en marche. Il faut pédaler pour obtenir une aide énergétique. Cette différence n’est pas technique, elle est politique. Ici, l’assistance est le contraire de ce mot utilisé par la droite pour la dénoncer. Elle condamne l’assistance, la droite, elle stigmatise les assistés. Elle dit qu’ils ne connaissent que leurs droits, jamais leur devoir, qu’ils touchent des indemnités chômage sans chercher du travail, qu’ils portent des prothèses en or sans payer la sécu, vous connaissez la chanson. Or, dans le cas des vélos, un vélassistancélectrique bien qu’il se nomme assistance, c’est le contraire. Il ne reçoit l’énergie que s’il commence à faire un effort. Il ne pédale pas, il ne reçoit rien. Qui ne pédale pas ne mange pas. Ceux qui grimpent, ce sont ceux qui luttent. Vous arrêtez l’effort, le courant s’arrête. Pour la droite, le vélassistancélectrique est un modèle de société. Sauf que.

            Sauf que toutes les études convergent : les gens qui roulent sur un vélassistancélectrique sont généralement de gauche, alors que les assistés qui roulent sans faire un effort sont généralement de droite. Ils causent, ils causent, mais dans la pratique, ils refusent toute contribution, reçoivent tout sans rien donner, et en plus, ils planquent leur argent en Suisse pour éviter de payer des impôts. 

assistés

ag socialiste

AG des trois sections socialistes du 18ème, rue Trétaigne. Daniel Vaillant, Lionel Jospin, Bertrand Delanoë. C’est l’intronisation d’Eric Lejoindre, adjoint de Vaillant, quoi va conduire la liste dans le 18ème et sera maire d’arrondissement si la liste l’emporte. Il n’a pas de concurrent et il n’y aura donc pas de primaires pour départager d’autres candidats.  

Prennent la parole les trois secrétaires de section, puis Eric Lejoindre, puis Daniel Vaillant, puis Bertrand Delanoë. Pluie de compliments pour Daniel, son courage exemplaire d’avoir pris la décision de ne pas cumuler, comme s’il avait eu le choix. Le courage, c’est celui d’Anne Hidalgo qui avait annoncé qu’elle ne prendrait aucun cumulard dans sa liste. Clair et net. Vaillant s’est débattu, il souhait attendre encore, jusqu’en 2017, disait-il. Il a du s’incliner. Il est vrai qu’il aurait pu maintenir sa candidature et créer ainsi un joyeux bordel dans l’arrondissement. Comme disait Bertrand Delanoë à juste titre, la conscience de l’intérêt collectif est plus forte dans l’arrondissement qu’au niveau du gouvernement.

La plupart des interventions concourent à montrer que les élections sont municipales et pas nationales. La panique des militants est que les électeurs se « trompent » d’élection et manifestent, notamment par l’abstention, leur insatisfaction. Il faut donc s’appuyer sur le bilan des maires sortants, Vaillant et Delanoë, et surtout pas sur le gouvernement Jean-Marc Ayrault. Seul Didier Guillot rappelle que dans le bilan du gouvernement socialiste, il y a les mesures pour le logement, l’encadrement des loyers, les rythmes scolaires, le mariage pour tous, qui seront autant de marqueurs positifs de la gauche. A part cette intervention, tout le monde se réfugie dans les municipales. Pendant les deux heures où je suis resté dans la réunion, le nom de François Hollande n’a pas été prononcé. Pas une fois. J’ai entendu les noms de Lionel Jospin, François Mitterrand, pas celui de Hollande.

Ce recul, cette distance, ne serviront à rien. Il faut se battre sur tous les fronts, puisque nous sommes au pouvoir sur tous les fronts. Ne rien dire sur la politique du gouvernement, aura pour effet de renforcer la méfiance et l’insatisfaction et accroîtra le nombre d’abstentionnistes.

J’ai fait mon numéro sur la Zone de sécurité prioritaire, et j’ai été applaudi par un quart de la salle.