mardi 30 octobre 2012

manuel Valls au pays basque


            Dans un entretien avec le journal El Païs, (29 octobre 2012) Manuel Valls réitère le soutien du gouvernement français au gouvernement espagnol dans la lutte contre le terrorisme de l’ETA. Rien de neuf.  Ce qui a provoqué une réaction quasi universelle des politiques de la région est une phrase : il n’y aura pas de région basque dans la prochaine loi de décentralisation. Et il ajoutait ; « tant que l’ETA ne dépose pas les armes, nous servons inflexibles ».
            Les élus du Pays basque, nationalistes, socialistes, UMP, centristes: condamnent l’amalgame entre l’ETA et la revendication d’une région basque. Leur colère mérite examen.
            Pendant trente ans, un groupe armé (l’ETA) a maintenu la région basque espagnole dans la terreur. Les élus qui n’avaient pas son agrément étaient traités d’ « espagnolistes » et considérés comme des cibles légitimes. Les journalistes et les intellectuels « espagnolistes » n’étaient pas moins des cibles légitimes. Trente années de terreur et près d’un millier de morts.
            Pendant ces trente années, les etarras ont disposé en France d’un certain capital de sympathie. Une intendance, des lieux de refuge, certes, mais surtout une solidarité diffuse à l’égard de terroristes considérés comme des combattants de la liberté. On demandait le rapprochement des prisonniers, leur libération. Les élus qui devaient appeler leurs gardes du corps pour sortir dans la rue ne provoquaient aucune solidarité, aucune manifestation de réprobation. Les élus français qui se promenaient librement à Bayonne, Biarritz, Anglet, Saint-Jean de Luz, ne protestaient pas contre le climat de terreur qui régnait à trente kilomètres de leurs mairies et de leur domicile.
            En revanche, ils sont tous vent debout contre Manuel Valls qui confond la revendication pacifique d’une région basque et la terreur de l’ETA. Comme j’aurais aimé entendre leur colère quand j’allais manifester aux côtés des Basques contre la terreur et les assassinats. Quand les socialistes basques ont gouverné la province avec le parti populaire sur la base d’un pacte anti-terroriste, je n’ai entendu aucun élu socialiste leur apporter alors leur soutien et leur solidarité.
            Aujourd’hui, si les élus veulent être crédibles, ils doivent se situer nettement sur toutes les questions politiques posées au Pays basque, pas la partie qui leur convient et qui leur permet de dormir tranquilles.
            Ils ne demandent pas à l’ETA de déposer les armes et de renoncer définitivement à la lutte armée. Pourquoi ? Ils ne disent rien sur la revendication des nationalistes radicaux qui veulent un Pays basque unifié comprenant les sept provinces, dont la Navarre et les trois provinces françaises. Pourquoi ?
            La revendication d’un département basque est-elle majoritaire ? Question non résolue. Les élections locales et nationales ont toujours donné la minorité à tous les partis qui revendiquent l’autonomie d’une région basque. Faut-il un référendum ? Qui  y participera ? Les Béarnais auront-ils le droit de voter ? Les propriétaires des résidences secondaires auront-ils le droit de voter ?
            Manuel Valls a sans doute commis une erreur en amalgamant une revendication pacifique à l’activité terroriste de l’ETA. Erreur volontaire ou marginale ? Peu importe. Elle pouvait permettre aux responsables politiques du Pays basque de clarifier leur position. Ce n’est pas le cas.


dimanche 28 octobre 2012

congrès PS


Le congrès du PS. Comme il est loin… Certains adhérents démissionnent. Ils sont déçus du gouvernement socialiste. La droite pilonne sur tout. Sur ce qui se fait et sur ce qui ne se fait pas. Impression bizarre. Il y eut l’enthousiasme de la victoire en 1981, un peu moins en 1988, un peu plus en 1997 avec le gouvernement Jospin, et en 2012, une satisfaction mesurée. Tout le monde savait déjà ce qu’il allait se passer. Des mesures de gauche, des contraintes européennes et mondiales.

Nous sommes ainsi faits et rien ne nous changera. Ce qui nous attire, nous passionne, nous intéresse, nous engage, sont les deux événements majeurs d’une vie : la naissance et la mort. La naissance, cette explosion de vie. La mort, la brutalité de la fin pourtant programmée. Nous recherchons dans la vie politique la brusquerie de ces deux évènements  d’un instant à l’autre, sans transition, sans attendre, la naissance d’une vie, la terminaison d’une vie. Nos héros politiques seront donc les accoucheurs et les fossoyeurs. Les autres nous ennuient.

Les accoucheurs des révolutions, les fossoyeurs du système qui parfois se ressemblent étrangement. Ils nous fascinent, ils nous excitent. Nous sommes ennuyés par ce qui réforme, soigne, répare, aide, participe, traverse, rembourse. Entre un miracle à Lourdes et un vaccin contre la grippe, où est le plus beau spectacle, qu’est-ce qui nous fait frémir ? Le vaccin sauve des millions de vie et personne n’en parle. Si un vaccin tue, c’est un événement. Des millions de pèlerins se pressent dans la salle d’attente de la caverne puis repartent sans être guéris et jamais personne ne fera un procès à Bernadette Soubirous.

Je n’ai pas la moindre idée de ce qui pourrait créer l’enthousiasme du quotidien. Ce qui pourrait rendre le réformisme spectaculaire, car les deux termes s’excluent. Faites la liste de ce qui a déjà été fait par nos ministres. Manquent les paillettes. Supprimez tout ce qui a été réalisé  par les gouvernements de gauche quand ils ont été au pouvoir, vous plongerez des millions de gens dans le malheur.

mardi 23 octobre 2012

basques bondissants


            Après avoir déposé les armes, les indépendantistes basques se sont présentés aux élections ce dimanche 21 octobre 2012 et ont obtenu près de trente pour cent des voix. Ils envisagent un referendum sur l’indépendance en alliance avec les nationalistes modérés. D’avoir déposé les armes leur a permis de penser. Est-ce que par hasard, se disent-ils en se grattant la tête, nous n’avons pas eu tort de choisir la voie armée ? Finalement, au Québec, en Flandres, en Catalogne, les nationalistes obtiennent le droit à l’autonomie et peut-être à l’indépendance, sans avoir tiré un coup de feu. Leurs frères irlandais, après avoir cessé le feu, se sont eux aussi grattés la tête non moins énergiquement et se sont posés les mêmes questions.

            Pendant quarante ans, ils ont tiré plus vite que leur ombre. Réfléchir prend plus de temps. On ne peut pas être rapide en tout.


dimanche 21 octobre 2012

drôles de jeux


Drôles de jeux

            Un bonbon à la menthe vous prive du goût d’un bon vin. Le rythme des séries haletantes empêche d’apprécier « Ainsi soit-il ».

            Les problèmes vont vite, les solutions vont lentement. Tous les jours une entreprise ferme, tous les jours il manque un professeur dans la classe, tous les jours, les urgences sont surchargées. Seuls ceux qui disposent de privilèges, d’un métier, d’un logement, de relations sociales, peuvent contempler avec sérénité les bourrasques, les inscrire dans l’histoire de notre temps. Les victimes demandent des solutions rapides.

            L’urgence impose ses rythmes. Une idée est lancée, par exemple la dépénalisation de l’usage du cannabis, une humble plante qui attire  toutes les foudres du monde, et la voilà malaxée, essorée, mille tours minutes et rangée ensuite sur les étagères à côté du mariage pour tous, du droit à l’avortement, de la distribution de seringues propres, de salles de consommation à moindre risque, du droit à divorcer, du droit de vote pour les étrangers. Puis on passe à autre chose.

            Si le ministre de l’intérieur est très haut dans les nuages, c’est que par nature, son métier est d’intervenir à chaud dans ce qui fait le sel de l’actualité : les faits divers. Un crime le matin, un discours à midi, une série policière le soir. Le ministre de l’intérieur se doit de ressembler aux personnages des séries policières qui nous protègent, nous spectateurs apeurés, avec une redoutable efficacité. Ça n’a rien à voir avec Manuel Valls. Le ministère de la recherche, même si l’on y mettait par exemple Stéphane Hessel ou Yannick Noah, n’aura jamais la même popularité, les décisions qu’il prend aujourd’hui auront des résultats dans dix ou vingt ans. Il faut cinquante ans pour fabriquer un prix Nobel. Une nuit pour le nommer, deux jours pour le célébrer, quatre pour l’oublier.

            On oublie. Par exemple, on oublie que les indignations utilisées contre le droit de vote des étrangers étaient étrangement semblables aux objections contre le suffrage universel. Les partisans du suffrage censitaire étaient convaincus que seuls les propriétaires avaient le sens de l’intérêt général. Les prolétaires et les paysans sans terre, n’étant pas freinés par leurs attaches, seraient guidés par leurs passions.

            Pour que ça marche, il faut un dialogue continu avec les habitants, les citoyens, les associations, les militants. Une pédagogie capable d’inscrire les décisions sur une carte, les réformes dans une visée, les nécessités dans un projet. Les gouvernants ont leurs priorités. Ils n’ont pas le temps. Ce devrait être le rôle du parti socialiste. S’il ne joue pas ce rôle, si les militants ne dialoguent pas, ne répondent pas aux interrogations, ils laissent la place aux démagogies de droite et de la gauche extrême. Il reste alors un face à face entre des gouvernants exténués et les prophètes de l’apocalypse.

            Le choix s’est resserré. Comme la révolution n’est plus à l’ordre du jour, une partie de la gauche estime que gouverner, c’est forcément trahir, qu’il vaut mieux rester dans l’opposition et participer aux colères sociales. D’autres orientations apparaissent, en Europe, aux États-Unis, en Amérique latine et depuis quelques mois en France. Elles s’opposent à une domination sans partage du capital financier, elles avancent des solutions solidaires, elles font bouger l’Europe et le monde contre les tentations de replis suicidaires. Si le PS ne place pas ce choix politique au cœur de son activité, qui le fera ? 

mardi 16 octobre 2012

folies


Folies

            En France, Vincent Peillon, après Daniel Vaillant, demande une réflexion sur la dépénalisation du cannabis. François Hollande et Jean-Marc Ayrault lui répondent sèchement que ce n’est pas à l’ordre du jour. Jean-François Copé demande sa démission. Il veut bien engager une réflexion sur la consommation des pains au chocolat pendant le Ramadan, mais pas sur le cannabis, qui détruit notre jeunesse, dit-il, ce n’est pas comme l’alcool et le tabac.

            Au Portugal, où le cannabis est dépénalisé, la consommation parmi les jeunes a chuté. En France, où la loi punit la consommation et la vente, la consommation augmente. Qu’importe. Vincent Peillon doit démissionner et Daniel Vaillant doit être puni.

            Quelle période d’histoire de l’humanité s’est-elle déroulée sans peur ? Sans angoisse ? Les gens avaient-ils plus peur en 1933 qu’aujourd’hui ?

            Des ministres de droite ont permis la distribution de seringues et la distribution médicale de produits de substitution, Jean-François Copé, la bouche pleine de son pain au chocolat criait-il  « Michèle Barzach démission ! » et « Simone Veil démission ! » dans la cour de récréation ?

            Si fouetter les peurs est le seul mode d’existence sociale et politique, si la peur est le seul mode d’appartenance à une commune humanité, nous n’aurons plus le choix qu’entre une droite d’épouvante et une gauche craintive. 

vendredi 12 octobre 2012

chiens renifleurs


13 octobre 2012 France Inter

Deux interviews. La première, d’Elisabeth Avril sur les salles de consommation à moindre risque, fondée sur des arguments de santé publique et de protection des quartiers. La deuxième, un proviseur d’un lycée des Landes a demandé à la police de visiter les classes avec un chien renifleur de drogues. La « visite » n’a rien donné. Six élèves dont les cartables avaient une odeur suspecte ont été interrogés.

Dans les pays où la réduction des risques est bien acceptée, où s’ouvrent des salles de consommation à moindre risque, , le nombre d'usagers est moindre que dans les pays où l’on envoie des chiens renifleurs dans les salles de classe.

Si l’objectif du proviseur était de montrer que dans son établissement les élèves ne consommaient pas de drogue, il est atteint. Les chiens renifleurs n’ont rien trouvé. Mais si l’objectif est de réduire la consommation des drogues parmi les jeunes scolaires, il devrait ouvrir dans son établissement une salle de consommation à moindre risque. 

mercredi 10 octobre 2012

couches populaires


    Comment surmonter cette discussion durable entre ceux qui accusent le PS de délaisser les couches populaires et ceux qui disent qu’il faut « les contourner ». Discussion qui se nourrit de sondages, de statistiques, de la sociologie des résultats électoraux.

     Cette discussion est un piège. La misère, l’exploitation, l’esclavage, réduisent la part d’humanité de ses victimes. Si la misère rendait beaux et intelligents, pourquoi faudrait-il la combattre ? Les mouvements sociaux peuvent se développer quand naissent d’autres visions de l’avenir que l’accablement du présent. Quand l’idée se propage qu’un autre monde, qu’une autre vie, est possible. Comment naissent et se développent ces visions d’avenir ? Dans la tradition marxiste, les théories libératrices ne pouvaient pas naître spontanément des prolétaires, elles devaient être apportées du dehors, par des révolutionnaires professionnels, des cadres et des intellectuels dont la formation était le premier objectif d’un parti communiste. Dans les mouvements sociaux paysans, les prêtres, les étudiants, les cadres militaires, les enseignants, les avocats, fournissaient un encadrement efficace et inventaient des sociétés différentes. Les mouvements nationaux ont aussi puisé dans les cadres religieux, militaires, étudiants, écrivains, pour construire une vision d’avenir sans laquelle l’enfermement dans le présent est inévitable. Le syndicalisme de l’Europe du Nord a été une puissante école de formation des cadres ouvriers.

    Sans visions d’avenir, il reste des ambitions individuelles, des carrières qui arrachent les individus à leur communauté sociale ou ethnique. Exil géographique, exil ethnique, exil social. En l’absence de projet collectif, les réussites individuelles assèchent une communauté sociale ou ethnique de ses éléments les plus entreprenants et ceux qui restent sont encore plus démunis d’avoir perdu des cadres potentiels. Les migrations du 19ème siècle témoignent de cet appauvrissement des campagnes que quittèrent les plus jeunes et les plus hardis.

     Ces cadres issus du peuple ouvrier ou paysan avaient un rôle d’entraînement, mais aussi de stagnation. Leur pouvoir dépendait de leur rareté. Le nombre devait être privé des outils de sa libération pour affermir le pouvoir des maîtres du jeu.

     Aujourd’hui, en Europe, les projets collectifs ne mobilisent plus. Il reste ici et là des séquelles qui ne sont pas sans importance, mais des séquelles. Des révolutionnaires héritiers du 19ème siècle qui veulent rejouer la prise de la Bastille et misent sur la spontanéité donc sur l’inculture pour conserver une influence. Des prophètes du nationalisme qui s’appuient sur les éléments les plus démunis socialement et intellectuellement. Des prophètes religieux qui tous disent, les uns et les autres : la société vous dit que vous n’êtes rien, mais vous êtes supérieurs aux autres par votre seule appartenance à une terre, ou à une tradition ou à une église.
Le PS  est mal armé pour lutter disputer le terrain aux prophètes. Il a contribué naguère à la chute des utopies meurtrières. Il conserve une certaine nostalgie des grands bouleversements. Mais il attire les compétences plus que les engagements. Justice sociale et finances vertueuses composent un ensemble tiède.  Pourtant, en observant le monde autour de nous, il est possible de distinguer des régimes dont la démocratie est absente, des théocraties, des oligarchies, des libéraux-communistes, des populo-castristes, des droites arrogantes. Dans l’ensemble, l’humanité se porte mieux, notamment les plus démunis, sous un gouvernement social-démocrate. En attendant de trouver un vaccin contre la misère, on réduit les risques. Les révolutionnaires fiévreux crient à la trahison et les sociaux-démocrates tissent des filets de sécurité,  investissent dans la recherche, misent sur les réformes.

     Peut mieux faire ? Certainement. S’intéresser aux « pauvres », aux couches populaires, c’est encourager les éléments les plus actifs et leur faire une place dans les partis, les élus, les administrations… Leur offrir des formations, des places. Ne pas cumuler les responsabilités dans tous les domaines contribue au fonctionnement de l’ascenseur social.

      « S’occuper des pauvres » ou des délaissés, c’est aussi s’intéresser à l’interface entre les services publics et les quartiers ou les individus à la dérive. S’intéresser aux couches populaires, c’est leur assurer un service public qui ne les méprise pas, des enseignants de qualité, des policiers compétents, des médecins capables. Si les plus démunis se trouvent en face d’aussi démunis qu’eux, ils se disent, bon, c’est comme ça, on nous envoie du personnel qui nous ressemble. Dans les interventions dans les favelas de Rio, les  policiers sont mieux payés et mieux formés. L’investissement prioritaire dans la formation des personnels d’éducation, de santé et de justice, loin d’être « clientéliste » est une contribution à la solidarité sociale.

            S’intéresser aux couches populaires, c’est miser sur leur intelligence, leurs capacités, leur invention, et dénoncer en permanence ceux qui leur tendent des miroirs aux alouettes.