jeudi 27 décembre 2012

détournement

sans liberté de choisir, il n 'est pas d'orgasme flatteur

samedi 22 décembre 2012

ZSP


            La mort, les catastrophes naturelles, les tueries en masse, les guerres, le terrorisme, les épidémies, simplifient la vie. Il faut répondre à l’urgence. Ça arrive tous les jours sur le petit écran, dans la vie quotidienne, ça arrive rarement. Les événements qui simplifient la vie sont si rares que vivre au jour le jour devient très compliqué.

            Comme la pente naturelle est de rechercher le simple plutôt que le complexe, nous traquons avec avidité les éléments de notre environnement qui prennent un caractère d’urgence car ils nous permettent de dormir tranquillement sur les deux oreilles. Individuellement, la maladie, la drogue, la passion, imposent leur itinéraire lancinant. Collectivement, les révolutions, les guerres réelles ou symboliques sont des aimants qui ordonnent la limaille.

            Nous vivions dans la Goutte d'Or une situation d’une extrême complexité. Un quartier commerçant qui attire les foules du Bassin parisien vers un mouchoir de poche. Des habitants descendants d’immigration relogés sur place dont les enfants devenus français de souche scrutent l’avenir. Des habitants intégrés, salariés, diplômés  ont acheté en plein Paris un logement à un prix raisonnable. Des immigrants qui trouvent ici des réseaux d’accueil et de solidarité, des réseaux de vente de produits contrefaits ou volés, des réseaux de prostitution, des moyens primitifs de survie. Des usagers de drogues qui consomment dans la rue, dans les halls d’immeuble, qui sont accueillis et parfois soignés dans des établissements spécialisés. Des mosquées, des églises, des synagogues, des boucheries hallal, des restaurants kasher, des boutiques de téléphone et de coiffure, des vendeurs à la sauvette qui occupent l’espace déjà réduit, une station de métro au bord de l’asphyxie, des prophètes religieux et politiques qui annoncent des révolutions futures ou des bonheurs éternels. Des bibliothèques,  des centres culturels, des boutiques de mode et des friperies, des restaurants de tous les continents. Des crèches, des écoles, des collèges, des rues impossibles et des jardins protégés du bruit et de la fureur. Rêveur celui qui veut simplifier ces tourmentes, insensé celui qui ne cherche pas à les réduire.
            Le classement du quartier en Zone de sécurité prioritaire agit comme un Grand Simplificateur. La guerre est déclarée. Le territoire doit être reconquis. La police est en ordre de marche et les habitants doivent se mobiliser. Si Daniel Vaillant a demandé à Manuel Valls le classement en Zone de sécurité prioritaire, c’est que, dit-il, les habitants n’en peuvent plus, ils n’en peuvent plus des agressions, des vols à la tire, du bruit en bas de chez eux, des bagarres entre prostituées, de l’occupation de l’espace par la vente à la sauvette, les agressions. La sécurité, dit Daniel Vaillant, est la première des libertés. Qui peut lui donner tort ?
            Les habitants sont mobilisés. Le préau de l’école Pierre Budin est plein, il faut rajouter des chaises. Le public se compose de personnes de toutes les générations, de toutes origines, des élus de tous bords, Roxane Decorte pour l’UMP, Alain Brossat pour le PC, qui ne prendront pas la parole. Des militants associatifs, politiques, du Front de gauche. A la tribune, le nouveau commissaire de police, Nelson Noir ( ?), Dominique Lamy et Myriam el Khomri, élus socialistes. Dominique Lamy, dans ses conclusions, remarquera que depuis longtemps, les discussions n’avaient été aussi calmes sur le sujet de la sécurité. C’est peut-être l’un des effets du classement de la Goutte d'Or. On ne s’écharpe plus dans les réunions entre les peurs des uns, les colères des autres, les plaintes rejetées et les attentes toujours urgentes et légitimes.

Nous RAPGO, Stéphane, Virginie, Gilles, Maurice et Philippe, nous participons activement à la discussion et au théâtre. Quand les interventions fusent, nous connaissons les images. Les mots que disent les présents ne sont pas un décor construit pour un soir. Nous avons traversé la scène pour venir ici et nous la retrouverons à la sortie. Nous avons vu les forces de police présentes à Château Rouge, rue Myrha, un peu partout. Et le marché Dejean à moitié libéré –vers le métro- et l’autre moitié, vers la rue des Poissonniers, entièrement occupé par des camions et des vendeurs à la sauvette dont le regard se tourne vers la partie libre du marché comme s’ils étaient certains que les agents viendront de là-bas, alors qu’une camionnette de police stationne à l’angle Poissonniers Myrha. Nous poursuivons vers la rue Budin et nous longeons l’attroupement compact d’un marché biffin, les marchandises étalées sur le trottoir, devant le collège Clémenceau, le bruit monte, le trottoir est inaccessible. Au retour, des prostituées africaines racolent sans bruit au carrefour Doudeauville-Poissonniers et rue de Suez, nous passons devant un restaurant qui a été fermé. Injustement d’après la patronne, qui est là dans la salle, et s’explique longuement. Devant mon établissement, les Congolais ou les Maliens, je ne sais plus bien, boivent, parlent fort et stationnent jusqu’à trois heures du matin ou plus tard. Je leur dis, je leur demande, je les supplie de circuler. Ils ne bougent pas. Je leur dis que je vais appeler la police. Ils s’en fichent. Et finalement, la police ferme mon établissement et eux ils sont toujours là. Effectivement, à dix heures du soir, ils sont là, ils boivent devant le restaurant fermé, ils boivent à l’américaine, la bouteille cachée dans un sac en papier, ils parlent ou plutôt ils hurlent. Quand ils sont de bonne humeur, ils crient. Quand ils sont de mauvaise humeur, ils se bagarrent. Et il est évident que si vous habitez dans l’immeuble au-dessus, il ne vous reste qu’une solution, c’est de déménager. La police a fermé le restaurant, se plaint la patronne et eux ils sont toujours là.  Une dame se lève et d’une voix douce et ferme dit la même chose : vous me connaissez, elle dit son nom, je téléphone tous les soirs, toutes les nuits, entre onze heures et quatre heures du matin, je ne peux pas dormir, vous ne venez jamais, qu’est-ce que je peux faire ? Une autre dame habite bd de la Chapelle, elle décrit un immeuble squatté par une bande de jeunes dealers, c’est l’enfer, chaque fois qu’elle passe on la traite de putain, ils se bagarrent entre eux. De la salle, les questions fusent. Devant le collège Clémenceau, les vendeurs sont tranquilles. Devant la mosquée aussi. La prostitution continue. Ça se dégrade. Les services publics sont crades, le métro est crade, la charcuterie de la rue Dejean a fermé ; Un restaurateur : je ne peux plus travailler. Toujours le square Léon, les immeubles abîmés, les portes cassées. J’aime bien l’hiver, j’aime la pluie, dit une habitante, quand il fait beau, les groupes se rassemblent, boivent, crient, ça devient impossible de dormir. Et la saleté de la rue des Poissonniers, quand même...

Des plaintes de ce type, il y en a beaucoup. Elles proviennent de gens raisonnables, pas énervés mais qui n’en peuvent plus. Qui subissent  de plein fouet des dérèglements insupportables. D’autres interventions parlent de disfonctionnements, des bandes du square Léon, de la prostitution ou de la vente à la sauvette, mais en parlent comme des scènes déplaisantes, mais qui ne mettent en jeu leur vie quotidienne, qui ne l’a pas transformé en enfer. Pour ces cas d’extrême urgence, le classement en ZSP ne résout rien. La seule solution est-elle la fuite ? Impossible pour une bonne partie des concernés. Ils pètent les plombs, jettent de l’eau par la fenêtre, appellent la police impuissante. Certains ont essayé d’aller discuter, en vain. Plus généralement : les questions et les interventions portent sur l’efficacité de la police, on cite les stationnements de voitures de police à côté des vendeurs à la sauvette. On demande une police de proximité, des gens qui connaissent les commerçants par leur nom, qui connaissent les habitants.

D’autres cris véhéments qui n’ont rien à voir avec la Zone de sécurité prioritaire. Le métro, dangereux. L'arrestation de distributeur de tracts fait aussi problème, et sur ce point, aucune réponse du commissaire. Un militant qui parle Front de gauche est véhément contre la présence de la police, qui ne fait rien d’autre que de poursuivre l’œuvre de Sarkozy, de faire la guerre aux sans-papiers et chasser les pauvres qui vendent des boîtes de conserve pour survivre. Le principal problème du quartier, c’est la pauvreté

            Le nouveau commissaire présente un bilan comptable de l’action de la police. Des dizaines de commerces ont été verbalisés pour occupation illicite du trottoir, manque d’hygiène ou vente illégale d’alcool. 300 PV pour épanchement d’urine. Sur mille commerces recensés, trois cents ont été contrôlés. Une douzaine de fermetures administratives ont été prononcées. Quand les prostituées sont contrôlées, elles sont verbalisées et interdites de séjour dans le quartier. Si elles reviennent, elles risquent la prison. Des réseaux de trafiquants de drogue et de contrefaçon ont été démantelés. Tous les jours, une demi-compagnie de CRS, le samedi, une compagnie complète. Des policiers dans les stations de métro. Une procédure simplifiée pour la saisie des objets vendus.

            Le groupe « Chateaubouge » est ravi. Enfin cesse ce qu’ils ont toujours dénoncé : la drôle de guerre qui ne mène à rien. La vraie guerre commence. Mais il faut mobiliser les habitants. Tous doivent se battre contre les consommateurs d’alcool, les buveurs pisseurs, le marché à la sauvette, le vol à l’arraché. Tous ensemble. La police ne peut pas agir sans les habitants. Encore moins contre eux. Bombardons nos élus de courriels et de pétitions. « Feu à volonté ». Feu sur le quartier général. Envoyons des courriels, des lettres, téléphonons au commissariat, offrons de collaborer avec la police. Qu’on permettre aux habitants et au conseil de quartier de donner un avis sur les licences de boissons alcoolisées, les permis d’ouverture tardive, l’installation de terrasse. Déposons des mains courantes, des plaintes contre les buveurs pisseurs, contre les vendeurs à la sauvette, les toxicos. Chateaubouge propose une collaboration active : surveiller les scènes de buveurs pisseurs, filmer les scènes pour fournir des « preuves filmées » des infractions des boutiques qui sont des lieux de boisson, qui déposent leurs ordures dans la rue, de dealers qui vendent ouvertement. Ces « caméras privées » sont plus efficaces que les caméras de surveillance. « Nous sommes prêts et organisés ». la balle est dans le camp de monsieur Clouzeau, l’ancien commissaire. On peut rire, reprocher, condamner, combattre ces tentatives de constituer des patrouilles de vigile citoyenne à la mode anglo-saxonne, par loin de l’auto défense. Mais ces offres, ces énervements sont dans la logique du classement de la Goutte d'Or en Zone de sécurité prioritaire. D’abord la sécurité. Il faut des résultats visibles. Le reste peut attendre. D’abord la guerre à la prostitution, la guerre aux incivilités, la guerre à la prostitution. On prépare un questionnaire qui prendra mieux en compte les demandes des habitants. Le monde à l’envers. On agit d’abord, on réfléchit ensuite. C’est la prime à l’urgence, la prime au spectacle. Les patrouilles de soldats dans les gares ne servent à rien dans la lutte contre le terrorisme. Elles rassurent. Les questionnaires font partie d’une « enquête de victimisation ». le nom déjà. Avez-vous peur ? Avez-vous été agressé ? Faisons nous peur les uns les autres.

            On a nettoyé Stalingrad de ces fumeurs de crack. Pour Stalingrad, c’est bien. Les lieux de deal se sont dispersés dans les petites rues autour, y compris à la Goutte d'Or. Les lieux de consommation se sont multipliés. Si l’objectif était l’augmentation de la consommation de crack, il a été atteint. On chasse les dealers de cannabis, on emprisonne les usagers. Si l’objectif est de faire de la France le premier consommateur de cannabis, il est atteint. Quel est l’objectif des activités policières à la Goutte d'Or ?

            Une orientation se dessine. Myriam el Khomri insiste sur les actions non policières : actions de responsabilités des parents en cas d’absences scolaires répétées. Les travaux d’intérêt général pour les jeunes qui abîment les velibs. Mais à la différence des actions policières, ces actions ne sont pas comptabilisées, ne sont pas vraiment écrites. On a l’impression de souhaits auto-réalisateurs : il suffit d’en parler pour que ça existe. Mais aucun chiffre, aucun exemple. Myriam « croit » à ce dispositif. Au dispositif contre la traite des femmes. Chiffres, résultats, bilan : rien. Seule l’activité policière a droit à la parole. A l’évaluation, au bilan. Les autres services ne sont pas là, éducation, santé, culture, politique de la ville, sont muets ou absents. Pourtant Dominique Lamy montre les changements du quartier, les rénovations, l’éradication du saturnisme, les bâtiments culturels… Le quartier a changé. Les taudis éradiqués, des logements sociaux, des établissements culturels, d’autres en projet. Des solutions durables, pour assurer la mixité sociale. Des mesures qui ne sont pas pour le bobos, comme on dit parfois, mais des mesures d’abord pour les plus démunis, parce qu’ils sont l’affirmation visible, mesurable, qu’ils ne seront pas abandonnés dans un quartier galère, dans un quartier ghetto, dans un quartier à l’abandon.    Et puis maintenant ce progressif envahissement par des commerces illégaux, des ventes d’alcool, des trottoirs réservés au racolage. Un sentiment de régression. De ce point de vue, les efforts pour retrouver un quartier comme les autres sont bienvenus. Mais des habitants posent la question de l’après Zone de sécurité prioritaire : combien de temps va-t-elle durer ? Que se passera-t-il ensuite ?

            Mais n’oublions pas que les difficultés de la Goutte d'Or sont d’abord des difficultés internes : marché ethnique pour l’ensemble de la région parisienne, scènes de la drogue, prostitution ethnique, bibliothèque fermée trop longtemps, engorgement du métro château rouge, concentration de chômage, de difficultés dues à l’exil et à ses contraintes, ghettoïsation préoccupantes des écoles. Que ces difficultés n’entrent pas dans le concept de sécurité prioritaire. Et que pour apaiser les inquiétudes que ce mot provoque, il faut rendre visible, il faut faire connaître et partager, tout l’aspect invisible du classement en zone spéciale. Les forces de police sont là très bien. Nous voudrions connaître des dates pour la bibliothèque Goutte d'Or, pour le métro château rouge, pour la brasserie Barbès. Engager une réflexion sur les salles de consommation. Les actions d’insertion des jeunes, de reclassement des prostituées, Sans cette réflexion collective, sans cette pédagogie, nous nourrirons le fonds de commerce de ceux pour qui la politique se réduit à la construction de murailles de plus en plus hautes.

            On me dit, c’est un ensemble. Je ne vois que les uniformes. Qui parle dans les réunions ? : le préfet, le procureur, les magistrats, le commissaire de police. Faites le test : parlez aux policiers qui se promènent dans les rues. Bonjour. Bonjour. Qu-est-ce que vous faites ? Vous sentez-vous utiles ? Les réponses vont de non, à je n’ai pas le droit de vous répondre. Pas terrible.

            Si le travail d’ensemble est ignoré, s’il ne nous est pas clairement présenté, la recherche de sécurité ne sera plus complémentaire, mais contradictoire avec la recherche patiente de solutions durables.

            Je retrouve avec une certaine appréhension, sur le site dixhuitinfo.com, le compte-rendu d’une visite du ministre de l’intérieur Claude Guéant dans la Goutte d'Or, le 25 mars 2011. Depuis une dizaine de jours, une section de CRS patrouille tous les jours dans le cadre d’un « projet de sécurité renforcé ». Les policiers ont dit au ministre que les vendeurs à la sauvette avaient disparu grâce à ce dispositif.


mardi 11 décembre 2012

AG parti socialiste


Le député maire commence son intervention en disant son extrême fatigue, je ne pourrai pas rester jusqu’au bout, dit-il, parce qu’il a assisté à une réunion du conseil de Paris sur le budget, puis une commission municipale, puis demain c’est l’assemblée nationale, il est épuisé dit-il, il y a des limites à tout, hier, trois heures du matin, il faut que je dorme. Puis il parle sur la situation politique. J’interviens tout de suite après, aussi sur la situation politique, mais avant, je remercie le député-maire de son préambule, je lui dis qu’il nous a présenté une superbe et accablante condamnation du cumul des mandats. Tout le monde rit, sauf le député maire qui ne m’a pas dit au revoir, en partant, d’habitude il me serre la main.

Le secrétaire national, député et secrétaire national,  a présenté une défense de la politique gouvernementale intelligente et argumentée. Il dit que le refus du déficit et la défense de la compétitivité  ne font pas partie des gênes de la gauche, mais qu’ils sont vitaux dans la situation difficile du pays aujourd’hui. Il dit que la difficulté principale n’est pas dans les mesures prises qui séparément, sont bien accueillies, mais dans la cacophonie entre membres du gouvernement, entre gouvernement et élus, entre parti et gouvernement. On lance des pétitions pour le mariage pour tous, ou pour le droit de vote des étrangers non-communautaires. Une pétition contre qui ? le problème principal est donc la cohésion de la majorité.

Dans mon intervention, je critique le classement de la Goutte d'Or en Zone de sécurité prioritaire, et j’obtiens la même réponse : la première liberté est la tranquillité. Dialogue de sourds. 

dimanche 9 décembre 2012

veillée funèbre


La maman de Juliette est morte au Cameroun. Une messe et une veillée en son honneur se dérouleront dans une église évangéliste du 15ème arrondissement rue Quinault. Juliette est l’auxiliaire de vie de ma sœur Marcelle qui à 89 ans et a besoin d’une auxiliaire de vie. Juliette nous accueille quand je vais voir ma sœur et quand sa mère est morte, elle nous a envoyé une invitation, à moi et à Brigitte, en signe de sympathie à notre égard. Nous avons décidé de répondre à l’invitation car nous pensions cela lui ferait plaisir.

La soirée est prévue de 18 heures à 23 heures. Nous consacrons l’après-midi à la vision d’un film roumain, Au-delà des collines, qui dure deux heures et demi, un beau film sur la folie religieuse dans un couvent orthodoxe. En sortant du cinéma, nous nous dirigeons vers l’arrêt du bus 80. La Place Clichy est complètement bouchée, tous les véhicules sont à l’arrêt, aucun bus 80 à l’horizon. Nous attendons, nous discutons, faut-il prendre le métro ou encore attendre ? Nous n’avons pas d’heure fixe, la cérémonie dure jusqu’à 23 heures, nous attendons, dans le froid. Il ne pleut pas, nous avons de la chance. Au moment où nous nous lassons et nous dirigeons vers le métro place Clichy, la place se débloque et nous apercevons le numéro 80 sur un autobus double. Nous rebroussons chemin. Nous montons dans le bus. IL avance lentement, très lentement, descend la rue que j’ai connue jadis sous le nom de Leningrad et qui porte maintenant le nom de Saint-Pétersbourg comme si on pouvait effacer l’histoire. Pourquoi cet acharnement contre Lénine alors que le métro Stalingrad conserve le nom d’un homme qui a fait plus de mal que Lénine ? L’embouteillage permet le long déroulement d’une réflexion politique et historique. La gare Saint-Lazare se passe sans encombre, mais à l’approche des Champs-Elysées, décorés pour les fêtes de fin d’année, nous roulons au pas. Non seulement nous roulons au pas, mais quand l’une de notre groupe va vérifier sur la plan où se trouve la station Peclet, où nous devons descendre, selon l’invitation (ou station de métro Commerce), la personne désignée pour rechercher l’arrêt constate avec mélancolie que l’itinéraire affiché est celui de l’autobus 95 et non pas de l’autobus 80. Quelques paroles échangées nous mettent d’accord : il est évident qu’il y a eu détournement d’autobus, qu’à l’origine ce bus était un 95, un commando s’en est saisi, a affiché les chiffres 80 qui se commandent manuellement, mais n’a pas eu le temps de remplacer l’itinéraire par celui du 80 que de toute manière, il ne possédait pas, on ne se déplace pas avec des itinéraires de bus dans la poche, surtout pour les détourner. Confirmation de notre inquiétude. Avant même de traverser l’avenue des Champs-Elysées reine des lumières, paradis des appareils photo brandis à bout de bras pour apercevoir l’Arc de Triomphe souligné de leds clignotants,  le chauffeur nous annonce tout de go que le terminus du bus ne serait pas Porte de Versailles, cela nous le savions déjà, le terminus devait être Mairie du 15ème, mais qu’il ne serait pas non plus Mairie du 15ème, mais Ecole militaire. Et qu’à Ecole militaire il ferait demi-tour et que ce serait le terminus. Les passagers protestent, s’exclament, se plaignent, téléphonent à tout va pour dire leur déception, mais le chauffeur a le pouvoir et il le sait. Il répète, terminus, Ecole militaire. Puis sous la pression, il dit, bon d’accord, une station de plus, je vous amène à la Motte Piquet Grenelle, où se trouvait jadis le Vel d’Hiv que tout le monde connait. Ou connaissait. Ce qui nous rapproche de la station Peclet et de la rue Quinault. Nous avons quitté le cinéma des cinéastes à 19 heures 15, il est vingt et une heures, une heure trois quart de bus 95 déguisé en 80. Je consulte sur mon téléphone intelligent l’itinéraire pour se rendre rue Quinault et le trajet se dessine, rue de la Croix Nivert, à gauche, puis à droite. Malgré la netteté de la carte, nous nous arrêtons plusieurs fois pour demander notre chemin car nous avons du mal à imaginer qu’un petit écran sans prétention puisse à lui tout seul, sans aide extérieure, nous indiquer le chemin. Mais l’écran avait raison. Nous nous trouvons devant le 6 de la rue Quinault devant une porte qui reste fermée malgré les tambourinements d’un couple avec enfant qui désire comme nous participer à la veillée funèbre en l’honneur de la maman de Juliette. Je téléphone à Juliette avec mon téléphone intelligent et elle me dit qu’il faut rentrer au numéro 4. Le mystère s’épaissit. Pourquoi envoyer une invitation à l’adresse du 6 rue Quinault alors que l’entrée est au 4 ? Pourquoi nous transporter dans un bus 95 qualifié de 80 ? Juliette nous accueille, nous dit qu’elle est ravie de nous voir, nous entrons dans l’église où des gens chantent des cantiques que ma compagne reconnaît car entre protestants et catholiques s’est constitué malgré les haines et les guerres de religion un terreau culturel commun qui permet aux et aux autres de chanter ensemble ou de mourir ensemble quand ils s’entretuent. Le pasteur dénonce vivement Nietzsche qui avait écrit que « Dieu est mort ». Nous nous levons et nous rasseyons, nous nous levons pour chanter, et nous nous rasseyons pour écouter le sermon. Je pourrais me dispenser de me lever puisque je ne chante pas les cantiques, mes cantiques à moi ne correspondent pas, ceux que j’ai appris dans ma jeunesse, se levaient les partisans dans l’ombre immense de Lénine, et la Jeune Garde sur le pavé, le sang des prolétaires, nous ne sommes rien soyons tout, aucun de ces cantiques ne figure dans la brochure distribuée aux présents. L’église n’est pas chauffée, les pieds se glacent les chants s’en ressentent. La cérémonie se termine avec « plus près de toi seigneur » dont mon accompagnatrice me rappelle qu’elle figurait dans le film Titanic et que tout le monde, catholiques et protestants chantaient ensemble en sombrant dans les eaux glacées du calcul égoïste.

Le repas fut convivial et nous fûmes traités comme des invités d’honneur en l’honneur de la couleur de notre peau, je ne vois aucune autre raison. Mais si les blancs sont positivement discriminés dans un enterrement noir, et que les noirs sont négativement discriminés dans les société blanches, comment arriverons nous à l’égalité entre les hommes ?  

vendredi 7 décembre 2012

proverbe ukrainien

Qui commence sa vie avec une bouillotte la terminera avec une poupée gonflable. (proverbe ukrainien)

jeudi 6 décembre 2012

les grandes peurs


Des paroles et des actes France 2 avec manuel vals. 6 dec 2012.

Il en va de la sécurité comme il en va de la drogue. La peur s’installe et chasse la pensée. Les gens deviennent fous de sécurité. Nous sommes entourés de menaces terrifiantes, de terroristes barbus qui vendent des cigarettes empoisonnées, de serbo-croates qui contrôlent les réseaux de prostitution, des vendeurs d’armes de poing à la sauvette. Comme nous (les gens), n’avons ni le courage ni les compétences pour nous protéger de ces terribles dangers, nous faisons appel à des professionnels de la protection. Ils viennent avec leurs chiens renifleurs fouiller les cartables d’écoliers, installent des néons bleus dans les halls des gares pour que les injecteurs ne puissent plus distinguer leurs veines, des sifflets à ultrasons dans les centres commerciaux qui doivent résoudre l’impossible objectif d’attirer les jeunes consommateurs de produits légaux et de repousser les mêmes lorsqu’ils consomment des produits interdits.   

Comme les professionnels de la sécurité ne peuvent pas être partout, certains prennent en main leur destin, sortent la carabine et tirent sur des jeunes qui font du bruit ou massacrent la famille en train de fêter un anniversaire parce qu’ils n’aiment pas la Compagnie Créole.

La chasse à la protection construit des résidences protégées par des gardes armés, des murs élevés surmontés par de délicieux tessons de bouteille, des fils de fer barbelés qui empêchent l’accès des barbares. Chaque fois que la peur l’emporte sur la réflexion s’élèvent des murs qui emprisonnent autant qu’ils protègent. Murs de Belfast, murs de Palestine, murs de Berlin, murs des clubs de vacances dans les pays où le climat est clément, la mer bleue et où rôdent la mendicité à main armée et les agressions de grand chemin.

Quand la peur s’installe elle chasse la pensée, elle bouche l’horizon, elle enfume les têtes et les cœurs. Ce n’est pas une menace pour l’avenir, c’est une réalité d’aujourd’hui. Quel que soit notre lieu d’habitation, les règlements de compte des quartiers marseillais ou du maquis corse, les émeutes des quartiers, les vols de bijouterie, sont proches de nous, à la distance qui sépare notre fauteuil de l’écran plat. Une tâche de sang sur la chaussée et apparaît le Grand Protecteur qui rassure, qui promet, qui nettoie.

Les maladies, les accidents, les agressions, les brutalités, sont des réalités. Si elles nous empêchent de vivre, elles deviennent un cauchemar. 

ZSP


Retour de Biarritz, dimanche 2 dec. Nous rentrons tard, il fait sombre, il fait noir. Les rues sont propres. Beaucoup de monde dans le métro. Pas de vendeurs à la sauvette. Pas de consommateurs de drogue. C’est l’heure et le climat ? Le lendemain, vers midi, même chose. Ce n’est plus l’heure. Le climat ? Les usagers sont de retour. Les mendiants, mais sans les enfants. Est-ce une intervention de la police ? Plus d’enfants, ni Boulevard Barbès, ni rue des Poissonniers. Des dames qui faisaient la manche avec des enfants tout jeunes, parfois des nouveau-nés, et là, elles ont laissé leurs enfants. Où ? Ça continue, lundi, mardi, mercredi, à toutes les heures. Les trottoirs ne sont plus occupés par les ventes à la sauvette, ni à Château Rouge, ni à Barbès. Il reste la mendicité, les usagers qui parlent et échangent, des distributeurs de tracts pour les téléphones, des broutilles. Même à l’intérieur du métro, plus de vendeurs à la sauvette, plus de bousculade, une sage file d’attente devant les machines à billets. A droite, direction Porte d’Orléans, un groupe de trois policiers. On se rend compte que la bousculade est due pour une grande part aux fraudeurs, qui sautent par-dessus les guichets, et les dérèglent, d’où une foule grossissante. Des uniformes partout, à l’angle Myrha/ Poissonnière, Léon/Myrha, Doudeauville/Poissonnière.

En ce qui concerne les aspects les plus visibles, les plus contraignants, la présence policière régulière transforme la Goutte d'Or en quartier comme les autres. Ce qui est terrifiant, c’est que ça marche.

D’autres moyens ont été utilisés et ont montré leur efficacité : dans les lieux où se rassemblent des jeunes, sifflets à haute intensité perceptibles uniquement par des oreilles adolescentes. A Marseille, autour de la gare, scène de drogue, la SNCF avait envisagé d’installer des lumières de néon bleu. Ces lumières rendent les veines moins visibles. Les usagers vont ailleurs chercher la lumière qu’il leur faut. L’exact contraire de la réduction des risques. (Le projet n’a pas abouti et le maire d’arrondissement a demandé son abandon). Est-ce que tout ça ne ressemble pas au déploiement des forces de police ? Pour rendre le quartier normal, des ultra sons, des néons bleus, et des uniformes de même couleur. Ce qui est terrifiant, c’est que ça marche. Ça marche en fonction d’une hiérarchie des nuisances, une hiérarchie des dérèglements, des disfonctionnements, en fonction d’une vision de la société qui mérite pour le moins d’être discutée.

L’idée serait que n’existe dans la Goutte d'Or qu’une délinquance d’importation. La drogue, la prostitution, la vente à la sauvette, viennent d’ailleurs.  La preuve : la police, qui agit comme des ultra sons et des néons bleus, chassent cette délinquance et il reste un quartier qui fonctionne normalement, agréablement. La Goutte d'Or, sans cette intrusion, est un bon quartier, un joli quartier. Les difficultés scolaires des habitants, les discriminations dans l’emploi, les difficultés d’intégration dues aux discriminations dans l’emploi et le logement, l’usage invisible des drogues, la prostitution, sont balayées de la réflexion puisque tout se remet à marcher normalement. Ça correspond aux vœux de ceux qui nous élus. Les plus en difficultés ne votent pas et ne réclament rien.

La question politique : comment ouvrir l’avenir de ceux qui n’en ont pas ? Comment attirer les gens qui maîtrisent le leur ? Le choix est-il entre ghetto concentré de misère ou la transformation de la Goutte d'Or en Place des Vosges ? Jusque-là, la politique de la ville consistait à tenir les deux termes, difficile, mais avec des succès. Logements sociaux,  logements étudiants, rénovation, constructions, bibliothèque, centre barbara, rue de la mode. Le classement en ZSP ne va pas modifier cette politique, mais elle risque de faire basculer la réflexion. Et la réflexion, le dialogue, la pédagogie et la recherche, c’est ce qui nous assurent de maintenir notre influence durablement. Ce que j’appelle de la politique durable.

Classons le quartier zone d’écoute prioritaire, zone de réflexion permanente. Zone d’évaluation permanente, zone d’action permanente. Pas zone de sécurité prioritaire. 

samedi 24 novembre 2012

evêque de bayonne


            Samedi 1 décembre 2012, l’évêque de Bayonne organise à Biarritz une grande messe au casino de Bellevue, où sont invitées des organisations françaises et internationales militant contre le droit à l’avortement, contre le droit à mourir dans la dignité, contre le mariage des homosexuels et des prêtres. Que les catholiques organisent des manifestations pour défendre les valeurs catholiques, c’est leur affaire, leur droit, leur prérogative. Pourtant, une contre-manifestation et un contre colloque se tiendront le même jour, à l’appel d’organisations politiques (PS, Radicaux, Communistes, Batasuna…) et associatives (planning familial, organisations féministes et de défense des droits des minorités….). Pourquoi des organisations laïques interviennent-elles ?

            C’est la question inverse qui doit être posée. Si des organisations laïques ont décidé de réagir, c’est parce qu’une église a l’exorbitante prétention de légiférer pour une société plurielle et diverse. Quand l’église catholique demande à ses fidèles de ne pas rompre les liens du mariage, de ne pas interrompre une grossesse même infligée par un cousin ivre ou un oncle enragé, quand l’église refuse un mariage religieux à deux homosexuels, elle s’adresse à la conscience des fidèles, à des adultes consentants qui acceptent les règles morales de l’église à laquelle ils adhèrent. Si elle intervient dans les mariages civils, les libertés de choix de personnes qui ne sont pas catholiques, elle réunifie ce que l’histoire a séparé : l’église et l’état. Elle pratique ce que d’autres religions appellent la charia.

            L’histoire de la France contemporaine dessine  une lente acceptation du compromis dans la vie politique. Les extrêmes ont pour le moment été maintenus en marge. Sont extrêmes : des organisations ou des mouvements qui estiment que la solution des conflits passe par l’élimination de l’adversaire et non par des solutions négociées. Sont extrêmes les mouvements qui visent à accoler un adjectif à l’État : État populaire, catholique, islamique, socialiste…et donc à exclure de la société ceux qui n’adhèrent à cet adjectif. Nous avons le privilège de vivre dans un pays où l’État n’a pas d’étiquette. La contre manifestation du samedi 1 décembre  vise à préserver ce privilège.

            

lundi 19 novembre 2012

Zone de sécurité prioritaire


Réflexions ZSP


Le classement de la Goutte d'Or en Zone de sécurité prioritaire (ZSP) provoque des discussions sans fin dans les réunions et sur la toile. Elles tournent autour de la police, de sa présence, de son efficacité, de son utilité. C’était prévisible. Le mot « sécurité » emprisonne la réflexion. A la réunion du 14 novembre à la mairie du 18ème, outre les élus  (Daniel Vaillant, ancien ministre de l’intérieur et Myriam El Khomri), la tribune était occupée par le préfet, le commissaire de police et le procureur. Education, santé, emploi, politique de la ville, sport et culture, n’avaient aucun représentant. Dans la salle, des habitants qui ont discuté de la police et de son efficacité dans la résolution des disfonctionnements du quartier.

Recension des opinions :

Ceux qui approuvent la présence policière. Au regard d’une situation de de dégradation de l’espace public, saleté, tapage, ce sont les habitants du quartier qui applaudissent des deux mains la présence » des forces de l’ordre. Ce n’est donc pas un hasard si les messages qui approuvent la présence policière proviennent de camarades qui habitent le quartier. (Silvia sommaruga)

La police fait son travail et c’est bien. Qu’il y ait des consignes pour contrôler les activités autour de Château Rouge ne me paraît pas inquiétant (il s’agissait du contrôle de deux militants front de gauche distribuant des tracts à la sortie du métro). C’est un secteur vraiment difficile. Les militants qui leur bonne conscience pour eux n’ont rien à craindre. Elisa Yavchitz renchérit : habitante de Château Rouge, je trouve que la présence policière n’est pas agressive comme elle l’a pu l’être dans le passé, elle apaise vraiment. Notamment à la sortie du métro. On ne peut que se réjouir que les forces de l’ordre aient décidé d’agir chez nous.
Le kiosquier Château Rouge dit que c’est bien, sans enthousiasme. Celui de Barbès intervient avec véhémence contre ceux qui doutent de l’efficacité  policière : venez me voir, je vous prie, voyez la différence quand il y a la police et quand elle n’est pas là. Quand elle est là, je peux travailler. Sinon, impossible, mon kiosque est asphyxié.

            Plus bizarrement, les usagers à EGO (Jean-Paul), affirment qu’ils ont affaire, depuis le classement du quartier en ZSP, à une police plus intelligente et plus respectueuse. La police recherche plutôt celui qui vend que celui qui consomme.

Ceux qui dénoncent les bavures, incivilités policières : Philippe Silvestre : j’ai trop vu ce type d’opérations, depuis vingt ans que j’habite le quartier. Trop de policiers, ne restant pas, ne connaissant pas le quartier et sa population. Essayez de leur parler : tout de suite ils sont sur la défensive. Il raconte une anecdote : un groupe de policiers cyclistes qui remonte le bd. Ils ne s’arrêtent pas au feu rouge. Philippe ne bouge pas. Dégage lui dit le dernier du groupe. «  il m’a fallu attendre près de cinquante ans et père de famille pour être enfin traité comme un jeune de banlieue.  

Mon expérience : depuis jeudi, je parle aux policiers. IL est tout à fait possible de le faire. Je dis bonjour, je me présente. Je m’adresse à un policier près de la voiture de police qui stationne. « Bonjour, je suis habitant du quartier, je vous vois souvent, vous et vos collègues et je m’interroge. Vous sentez-vous utiles, le policier, assez jeune : pas du tout. On ne sert à rien. On chasse les vendeurs, ils se réfugient à trois mètres, attendent qu’on parte, puis reviennent. On ne sert à rien. Je ne fais pas mon travail de policier. Boulevard Barbès. Trois CRS patrouillent. Je leur dis bonjour. Est-ce qu’on vous dit souvent bonjour ? Oui, les gens sont très gentils, ils nous disent souvent bonjour. Est-ce que vous trouvez que vous faites un travail utile ? L’un du groupe, sous l’assentiment des deux autres : ah, ça je ne peux pas vous répondre, je n’ai pas le droit ». C’est une réponse.

A la réunion du 14 novembre : le préfet disait qu’il fallait « fidéliser la police », et il donnait en exemple les CRS. Désormais, au lieu d’une seule journée, ils passeront deux ou trois semaiens dans le quartier. Ce qui s’appelle se moquer du monde ? C’est ça fidéliser ? Est-ce que commencer par fidéliser la police, ça ne commencerait pas par expliquer l’objectif de la ZSP aux forces de l’ordre. Leur expliquer pourquoi elles sont utiles. Ouvrir un espace de dialogue entre les habitants et les policiers ?

Pascal Nicolle, président de la LDH 18ème. 15, novembre le matin, 8H50, deux militants du parti de gauche distribuent des tracts. La police le leur interdit sous prétexte d’absence  d’autorisation. Un policier saisit un tract roulé en boule par terre comme motif possible de contravention. Contrôle d’identité. L’un des policiers précise : « c’est une ZSP », il y a une caméra et nous sommes obligés de faire un rapport sur cette distribution de tract, on a besoin de vos identités. Mais en juin dernier, les mêmes militants ont été contrôlés et le classement ZSP n’était pas encore décidé. J’ajoute : les distributeurs de milliers de tracts de marabouts sont-ils aussi contrôlés ?

La justification du classement : les plaintes des habitants. Voir ce qui se dit autour de nous et qui converge et qui peut se résumer ainsi : le mésusage de l’espace public, on tolère ici ce qu’on ne tolérerait pas avenue Victor Hugo. A nouveau Philippe : est-ce que le quartier est plus dangereux qu’ailleurs et qu’avant ? il y a dix ans, les dealers et les drogués rentraient fréquemment dans les immeubles de la rue Polonceau. Les altercations étaient nombreuses. Aujourd’hui, je ne me sens pas menacé, ni par les vendeurs à la sauvette, ni par les pisseurs de rues, ni par les vendeurs de cigarettes, ni par les prostituées rue marcadet, ni par les crackeurs de Château Rouge, ni par les voitures qui se garent sur les trottoirs, ni par la bibliothèque fermée depuis un an, ni par les engorgements de Château Rouge, … je suis agacé. Plus qu’une zone de sécurité prioritaire, je crois  que j’aspire à une zone de tranquillité prioritaire. En fait, à une zone normale.

Luc Peillon : avec le classement ZSP, le trafic de crack a –t-il diminué ? Quelle est l’efficacité d’un car de police coincé entre quatre ou cinq prostituées et deux vendeuses de safous ? Depuis que l’Olympic café est fermé, l’angle Léon  Myrha est une vraie zone de non droit, transformé en QG des trafiquants qui ont même organisé un barbecue dans la rue. Encore une fois la question de l’occupation de l’espace public et une politique culturelle est tout aussi efficace et apaisante qu’une présence policière massive.

Résumons pour faire le point. Ce qui se passe sous nos yeux n’est pas la présence aléatoire de camions de CRS ou d’une voiture de police devant le marché Dejean. Ni non plus les BAC qui de temps en temps coincent un dealer. Les désordres urbains en France sont souvent le résultat d’interactions violentes entre policiers des BAC et les jeunes des cités. Ici, même s’il y eu quelques incidents suite à des arrestations, elles restent dans le quartier l’exception et les policiers, ZSP ou pas ZSP, se promènent dans le quartier en patrouille de deux ou trois sans provoquer de remous particulier.

A l’heure qu’il est : le classement de Château Rouge en ZSP rend d’abord visible la présence policière, provoque des discussions en fonction de cette présence, pour ou contre. C’est l’une des retombées à mon malheureuse d’une ZSP, d’une réunion où se trouvent au centre des discussions un préfet, un commissaire, un procureur.

En quoi sont-ils utiles pour « reconquérir l’espace public » ? Puisqu’on parle de reconquête.

Ces remarques n’ont rien d’une dénonciation trop familière de la police. Elle contribue à dégager les trottoirs et me rend la marche plus facile. J’apprécie. Et puis ? On repousse les effets visibles des disfonctionnements vers le Boulevard Magenta ? Mais je me pose la question suivante : une réponse policière, même durable, ne changera pas le quartier. Des réponses ont été trouvées dans la longue histoire de la Goutte d'Or : dans le domaine de la drogue, du logement. Il reste à en trouver d’autres sur le commerce. Les réponses qui ont été trouvées l’ont été parce qu’on a quitté le tumulte des discussions sécuritaires pour se poser d’autres questions, avec tous les acteurs. Tous, y compris la police. Y compris les habitants, les usagers de drogue, les commerçants. Je ne sais pas si les réponses existent. Je sais seulement qu’elles ne se trouvent dans les impasses sécuritaires.



dimanche 11 novembre 2012

le choix


El Païs 11 novembre 2012. Samedi 10 novembre : jour de mémoire pour les victimes du conflit au Pays basque. Les dirigeants de Bildu (anciennement Batasuna) n’étaient pas présents aux cérémonies du souvenir à Bilbao parce qu’ils participaient à la manifestation de Bayonne pour le rapprochement des prisonniers politiques.On ne peut pas être partout. Les députés socialistes français du pays basque étaient présents à Bayonne et pas à Bilbao. On ne peut pas être partout. 

mercredi 7 novembre 2012

le pire est dans le fruit


Le pire est parfois dans le fruit

Tous ceux qui annonçaient l’apocalypse avaient raison. Si l’on partage le pouvoir avec ceux qui ne le méritent pas, les catastrophes annoncées se réaliseront. Les Indiens d’Amérique le savent. Ils se méfiaient de ces étrangers venus de l’Ouest et ils avaient raison puisque ces immigrants les ont chassés de leurs terres, les ont exterminés, parqués dans des réserves. Les remplaçants se méfiaient des étrangers comme de la peste. Le pouvoir politique était réservé aux hommes, propriétaires, protestant, d’origine anglo-saxonne. Pour protéger leur pouvoir, ils ont résisté de toutes leurs forces à la généralisation des droits. Ils ont importé des Noirs et leur ont refusé le droit de vote. Ils ont dû le leur accorder, la mort dans l’âme. Puis des immigrés pauvres de religion étrangère ont représenté un grave danger. Les WASPS voulurent les tenir à l’écart, mais ce fut une autre bataille perdue et les Italiens, les Irlandais, les Juifs et les Polonais, conquirent des villes, des régions, et parfois même la magistrature suprême. Le droit de vote conquis par les femmes n’arrangea pas les choses et voilà le résultat : Barak Obama à la Maison Blanche, c’était fatal.

Aujourd’hui, tout le monde a le droit de vote, des citoyens hommes et femmes de plus de dix-huit ans (on va vers les seize ans à grands pas), qu’ils paient des impôts ou pas, qu’ils soient propriétaires ou pas. Donner le droit de vote à des gens qui ne paient pas d’impôts, alors que la politique concerne en tout premier lieu le budget de la nation, vous imaginez ? Et aujourd’hui, on propose d’accorder le droit de vote à des étrangers, à des gens qui n’ont même pas de carte d’identité à montrer au président du bureau de vote.

Quand le danger est grave, les demi-mesures ne servent à rien. La seule réponse efficace est de supprimer les causes du danger à la source, et donc de retirer progressivement le droit de vote et d’occuper des fonctions politiques à tous ceux qui ne paient pas d’impôts, aux femmes bien entendu, puisque de deux choses l’une, ou elles votent comme les hommes et alors à quoi bon, ou elles votent différemment et à ce moment la famille se dissout dans des querelles sans fin. Réservons le droit de vote aux hommes propriétaires (seuls ils ont le sens de l’intérêt national car ils le défendent la nation comme une propriété privée), nés sur le territoire national de parents français, pratiquants d’une religion monothéiste romaine. Sinon, les élites méritantes auront le sort des Indiens d’Amérique, elles vivront dans des réserves, Neuilly Auteuil Passy, et des touristes chinois et japonais viendront les photographier et leur acheter des bijoux et des parfums authentiques fabriqués dans des ateliers de la Place Vendôme. 

mardi 6 novembre 2012

charité bien ordonnée


Charité bien ordonnée


L’église catholique prend fermement position contre le mariage des homosexuels. Ce mariage ouvre la voie à l’adoption et l’enfant, dit-elle par la voix de ses évêques, a besoin d’un père et d’une mère pour se construire. Dans cette logique, l’église devait permettre le mariage des prêtres et des évêques, car de nombreux enfants issus de liaisons entre hommes d’église et femmes laïques errent sans repères. Quand auront-ils le droit de dire « papa » et ainsi se construire dans l’immuable tradition ?

lundi 5 novembre 2012

guerre de cent ans

La guerre de Cent ans


Simon Jenkins, dans The Guardian, 17 oct 2012, s’indigne contre la « guerre à la drogue ». Imaginez, dit-il, que la guerre en Afghanistan se mène depuis cinquante ans. Qu’elle fasse deux mille morts par an. Qu’il y ait tous les ans quarante mille prisonniers et que pourtant, le nombre des adversaires ne cesse d’augmenter. Qu’elle coûte un milliard par mois. Il y aurait des manifestations, des débats au parlement. C’est ainsi que se mène « la guerre à la drogue » et si un responsable politique réclame une autre politique, il sera accusé d’être complice des dealers et d’encourager la consommation. Simon Jenkins exprime un certain découragement. Il a l’impression que tous les dix ans, cette discussion reprend, sans fin et sans résultats.

Il est des domaines où les évolutions se traînent. Où une vie complète suffit à peine à distinguer un horizon, une porte de sortie. Il a fallu des générations de divorces à l’italienne pour que la législation enfin fût enfin changé. Il fallut des milliers de femmes mortes dans des accouchements clandestins pour qu’enfin l’avortement devienne légal.

Les arguments du refus sont répétitifs. Donner du pouvoir à ceux qui n’en ont pas détruit la société.  Le suffrage universel, en donnant le droit de vote aux pauvres allait donner le pouvoir aux barbares sans éducation. Le divorce allait détruire les familles, pilier de l’ordre social. L’abolition de la peine de mort allait permettre aux tueurs de multiplier leurs meurtres. L’excision protège la vertu des femmes, la burka empêche les viols et les chiens renifleurs empêchent les lycéens de fumer.

Les évolutions sont lentes et nous devons nous armer de patience. Ecouter avec attention les discours rétrogrades qui nous maintiennent dans l’obscurantisme, la censure, la chasse aux sorcières. Se rappeler que ce déferlement de paroles fera le bonheur des historiens, que tous ces discours rangés, pressés dans les archives, pourriront lentement dans les bibliothèques et comme les feuilles mortes ajoutées aux ordures ménagères, se transformeront en compost pour les moissons des générations futures. 

samedi 3 novembre 2012

union sacrée

   Union sacrée pour Aurore Martin. PS, UMP et nationalistes basques. Pendant trente ans, des conseillers municipaux assassinés sur l'autre rive de la Bidassoa, tout près d'ici. Des universitaires menacés, des entrepreneurs kidnappés, des journalistes mutilés. Je n'ai pas vu des responsables politiques du Pays basque français inviter des élus basques espagnols dans leur mairie pour leur manifester leur solidarité. Je cherche en vain un rue Miguel Angelo Blanco dans une ville du Pays basque français. Les yeux se détournaient, on ne voulait pas voir, ce pouvait être dangereux, si on allait inviter le conflit chez nous...Aujourd'hui, les consciences endormies se réveillent. Profitons de ce réveil citoyen pour demander qu'une rue de la ville de Biarritz porte le nom de Miguel Angelo Blanco. Si vous êtes d'accord, ajoutez votre signature à cette pétition: 


Je demande qu'une rue de la ville de Biarritz porte le nom de Miguel Angelo Blanco


(contact: maurice.goldring@gmail.com)

toussaint


Tous saints, tous morts

Samedi 3 novembre 2012. ça a commencé au mois d’octobre avec la mort du frère de Brigitte, Bernard, qui était très malade depuis l’été, mais quand même. Puis un collègue irlandiste, Bernard Escarbelt, décédé brutalement et les condoléances courent sur le site de la société d’études irlandaises. Ensuite une tante de Brigitte, 86 ans, la mère d’un cousin, la voiture conduite par son mari est tombé dans un fossé et le choc l’a tuée. Puis tous ces morts qui ont le même âge que moi, au point où je ne regarde même plus le nom, mais juste l’âge de la mort, pour savoir qu’elle se rapproche. Comme ces jeux de foire où une raclette pousse des pièces vers l’abîme, vous mettez une pièce et elle pousse les autres et toutes les pièces, à force finissent par tomber dans le gouffre.

Les vivants disent d’une mort brutale que c’est une mort rêvée, la personne est en bonne santé et la minute d’après, elle est morte. Rêvée pour qui ? Pour ceux qui restent, évidemment. Une mort non rêvée, pour les vivants, c’est une longue maladie, la déchéance, le délabrement, les incontinences verbales et physiques, le ratatinement du corps, les yeux qui fixent le néant. Nous sommes bien d’accord. Mais d’un autre côté, une mort lente permet d’entrevoir un petit peu, un tout petit peu, ce que les vivants diront de vous quand vous serez mort. Si vous mourez d’un accident de voiture, vous ne saurez rien. Peut-être c’est mieux, peut-être c’est dommage.

Puis ce fut le tour d’Yvonne Quilès, qui était très malade depuis des années et qui a eu le contraire d’une mort non rêvée, mais elle n’était pas en état d’entendre et de comprendre ce que les gens disaient d’elle, parce qu’elle était déjà dans le gouffre. Jean Rony m’a annoncé la nouvelle et m’a lu le texte collectif de ses amis qui sera publié dans le Monde. Ses qualités d’indépendance, d’esprit rebelle. Est-ce qu’elle a eu une belle vie ? familiale, pas sûr, des difficultés à n’en plus finir, avec les filles, les petits-enfants, les arrière-petits-enfants, qu’elle a du aider, soutenir, parfois entretenir.

Une vie politique où elle s’est taillé une place à elle, reconnaissable entre toutes, par son style, reconnaissable physiquement par sa chevelure. Elle n’était pas modèle militant. Depuis longtemps déjà, dans les réunions du lundi de l’hebdomadaire communiste, alors que les présents égrenaient leurs activités militantes de la fin de semaine, Yvonne disait moi, j’ai passé le week-end au lit. Il y a longtemps. Bien avant la grande chute, la rupture, les renoncements, les régressions, les naufrages. Elle était féministe quand ce n’était pas la mode dans les rangs communistes. Elle défendait tout ce qui n’était pas officiel. L’Union de la gauche quand ce fut la rupture. Avec elle, pas de demi-mesure, pas de compromis, pas d’eau tiède, elle voulait être aimée ou détestée et les amours et les haines ne lui manquèrent jamais.

Avec ses armes à elles, qui étaient sa chevelure rousse et son écriture. Quand elle a perdu ses couleurs et les mots, elle a perdu les raisons de vivre et s’est enfoncée dans le néant, d’abord vraiment, puis état civilement. Autour d’elle, un groupe d’amis pas un courant de pensée, une manière de se conduire dans la vie politique, une manière de vivre. Sans leçons, sans morale, sans prescription. 

mardi 30 octobre 2012

manuel Valls au pays basque


            Dans un entretien avec le journal El Païs, (29 octobre 2012) Manuel Valls réitère le soutien du gouvernement français au gouvernement espagnol dans la lutte contre le terrorisme de l’ETA. Rien de neuf.  Ce qui a provoqué une réaction quasi universelle des politiques de la région est une phrase : il n’y aura pas de région basque dans la prochaine loi de décentralisation. Et il ajoutait ; « tant que l’ETA ne dépose pas les armes, nous servons inflexibles ».
            Les élus du Pays basque, nationalistes, socialistes, UMP, centristes: condamnent l’amalgame entre l’ETA et la revendication d’une région basque. Leur colère mérite examen.
            Pendant trente ans, un groupe armé (l’ETA) a maintenu la région basque espagnole dans la terreur. Les élus qui n’avaient pas son agrément étaient traités d’ « espagnolistes » et considérés comme des cibles légitimes. Les journalistes et les intellectuels « espagnolistes » n’étaient pas moins des cibles légitimes. Trente années de terreur et près d’un millier de morts.
            Pendant ces trente années, les etarras ont disposé en France d’un certain capital de sympathie. Une intendance, des lieux de refuge, certes, mais surtout une solidarité diffuse à l’égard de terroristes considérés comme des combattants de la liberté. On demandait le rapprochement des prisonniers, leur libération. Les élus qui devaient appeler leurs gardes du corps pour sortir dans la rue ne provoquaient aucune solidarité, aucune manifestation de réprobation. Les élus français qui se promenaient librement à Bayonne, Biarritz, Anglet, Saint-Jean de Luz, ne protestaient pas contre le climat de terreur qui régnait à trente kilomètres de leurs mairies et de leur domicile.
            En revanche, ils sont tous vent debout contre Manuel Valls qui confond la revendication pacifique d’une région basque et la terreur de l’ETA. Comme j’aurais aimé entendre leur colère quand j’allais manifester aux côtés des Basques contre la terreur et les assassinats. Quand les socialistes basques ont gouverné la province avec le parti populaire sur la base d’un pacte anti-terroriste, je n’ai entendu aucun élu socialiste leur apporter alors leur soutien et leur solidarité.
            Aujourd’hui, si les élus veulent être crédibles, ils doivent se situer nettement sur toutes les questions politiques posées au Pays basque, pas la partie qui leur convient et qui leur permet de dormir tranquilles.
            Ils ne demandent pas à l’ETA de déposer les armes et de renoncer définitivement à la lutte armée. Pourquoi ? Ils ne disent rien sur la revendication des nationalistes radicaux qui veulent un Pays basque unifié comprenant les sept provinces, dont la Navarre et les trois provinces françaises. Pourquoi ?
            La revendication d’un département basque est-elle majoritaire ? Question non résolue. Les élections locales et nationales ont toujours donné la minorité à tous les partis qui revendiquent l’autonomie d’une région basque. Faut-il un référendum ? Qui  y participera ? Les Béarnais auront-ils le droit de voter ? Les propriétaires des résidences secondaires auront-ils le droit de voter ?
            Manuel Valls a sans doute commis une erreur en amalgamant une revendication pacifique à l’activité terroriste de l’ETA. Erreur volontaire ou marginale ? Peu importe. Elle pouvait permettre aux responsables politiques du Pays basque de clarifier leur position. Ce n’est pas le cas.


dimanche 28 octobre 2012

congrès PS


Le congrès du PS. Comme il est loin… Certains adhérents démissionnent. Ils sont déçus du gouvernement socialiste. La droite pilonne sur tout. Sur ce qui se fait et sur ce qui ne se fait pas. Impression bizarre. Il y eut l’enthousiasme de la victoire en 1981, un peu moins en 1988, un peu plus en 1997 avec le gouvernement Jospin, et en 2012, une satisfaction mesurée. Tout le monde savait déjà ce qu’il allait se passer. Des mesures de gauche, des contraintes européennes et mondiales.

Nous sommes ainsi faits et rien ne nous changera. Ce qui nous attire, nous passionne, nous intéresse, nous engage, sont les deux événements majeurs d’une vie : la naissance et la mort. La naissance, cette explosion de vie. La mort, la brutalité de la fin pourtant programmée. Nous recherchons dans la vie politique la brusquerie de ces deux évènements  d’un instant à l’autre, sans transition, sans attendre, la naissance d’une vie, la terminaison d’une vie. Nos héros politiques seront donc les accoucheurs et les fossoyeurs. Les autres nous ennuient.

Les accoucheurs des révolutions, les fossoyeurs du système qui parfois se ressemblent étrangement. Ils nous fascinent, ils nous excitent. Nous sommes ennuyés par ce qui réforme, soigne, répare, aide, participe, traverse, rembourse. Entre un miracle à Lourdes et un vaccin contre la grippe, où est le plus beau spectacle, qu’est-ce qui nous fait frémir ? Le vaccin sauve des millions de vie et personne n’en parle. Si un vaccin tue, c’est un événement. Des millions de pèlerins se pressent dans la salle d’attente de la caverne puis repartent sans être guéris et jamais personne ne fera un procès à Bernadette Soubirous.

Je n’ai pas la moindre idée de ce qui pourrait créer l’enthousiasme du quotidien. Ce qui pourrait rendre le réformisme spectaculaire, car les deux termes s’excluent. Faites la liste de ce qui a déjà été fait par nos ministres. Manquent les paillettes. Supprimez tout ce qui a été réalisé  par les gouvernements de gauche quand ils ont été au pouvoir, vous plongerez des millions de gens dans le malheur.

mardi 23 octobre 2012

basques bondissants


            Après avoir déposé les armes, les indépendantistes basques se sont présentés aux élections ce dimanche 21 octobre 2012 et ont obtenu près de trente pour cent des voix. Ils envisagent un referendum sur l’indépendance en alliance avec les nationalistes modérés. D’avoir déposé les armes leur a permis de penser. Est-ce que par hasard, se disent-ils en se grattant la tête, nous n’avons pas eu tort de choisir la voie armée ? Finalement, au Québec, en Flandres, en Catalogne, les nationalistes obtiennent le droit à l’autonomie et peut-être à l’indépendance, sans avoir tiré un coup de feu. Leurs frères irlandais, après avoir cessé le feu, se sont eux aussi grattés la tête non moins énergiquement et se sont posés les mêmes questions.

            Pendant quarante ans, ils ont tiré plus vite que leur ombre. Réfléchir prend plus de temps. On ne peut pas être rapide en tout.


dimanche 21 octobre 2012

drôles de jeux


Drôles de jeux

            Un bonbon à la menthe vous prive du goût d’un bon vin. Le rythme des séries haletantes empêche d’apprécier « Ainsi soit-il ».

            Les problèmes vont vite, les solutions vont lentement. Tous les jours une entreprise ferme, tous les jours il manque un professeur dans la classe, tous les jours, les urgences sont surchargées. Seuls ceux qui disposent de privilèges, d’un métier, d’un logement, de relations sociales, peuvent contempler avec sérénité les bourrasques, les inscrire dans l’histoire de notre temps. Les victimes demandent des solutions rapides.

            L’urgence impose ses rythmes. Une idée est lancée, par exemple la dépénalisation de l’usage du cannabis, une humble plante qui attire  toutes les foudres du monde, et la voilà malaxée, essorée, mille tours minutes et rangée ensuite sur les étagères à côté du mariage pour tous, du droit à l’avortement, de la distribution de seringues propres, de salles de consommation à moindre risque, du droit à divorcer, du droit de vote pour les étrangers. Puis on passe à autre chose.

            Si le ministre de l’intérieur est très haut dans les nuages, c’est que par nature, son métier est d’intervenir à chaud dans ce qui fait le sel de l’actualité : les faits divers. Un crime le matin, un discours à midi, une série policière le soir. Le ministre de l’intérieur se doit de ressembler aux personnages des séries policières qui nous protègent, nous spectateurs apeurés, avec une redoutable efficacité. Ça n’a rien à voir avec Manuel Valls. Le ministère de la recherche, même si l’on y mettait par exemple Stéphane Hessel ou Yannick Noah, n’aura jamais la même popularité, les décisions qu’il prend aujourd’hui auront des résultats dans dix ou vingt ans. Il faut cinquante ans pour fabriquer un prix Nobel. Une nuit pour le nommer, deux jours pour le célébrer, quatre pour l’oublier.

            On oublie. Par exemple, on oublie que les indignations utilisées contre le droit de vote des étrangers étaient étrangement semblables aux objections contre le suffrage universel. Les partisans du suffrage censitaire étaient convaincus que seuls les propriétaires avaient le sens de l’intérêt général. Les prolétaires et les paysans sans terre, n’étant pas freinés par leurs attaches, seraient guidés par leurs passions.

            Pour que ça marche, il faut un dialogue continu avec les habitants, les citoyens, les associations, les militants. Une pédagogie capable d’inscrire les décisions sur une carte, les réformes dans une visée, les nécessités dans un projet. Les gouvernants ont leurs priorités. Ils n’ont pas le temps. Ce devrait être le rôle du parti socialiste. S’il ne joue pas ce rôle, si les militants ne dialoguent pas, ne répondent pas aux interrogations, ils laissent la place aux démagogies de droite et de la gauche extrême. Il reste alors un face à face entre des gouvernants exténués et les prophètes de l’apocalypse.

            Le choix s’est resserré. Comme la révolution n’est plus à l’ordre du jour, une partie de la gauche estime que gouverner, c’est forcément trahir, qu’il vaut mieux rester dans l’opposition et participer aux colères sociales. D’autres orientations apparaissent, en Europe, aux États-Unis, en Amérique latine et depuis quelques mois en France. Elles s’opposent à une domination sans partage du capital financier, elles avancent des solutions solidaires, elles font bouger l’Europe et le monde contre les tentations de replis suicidaires. Si le PS ne place pas ce choix politique au cœur de son activité, qui le fera ? 

mardi 16 octobre 2012

folies


Folies

            En France, Vincent Peillon, après Daniel Vaillant, demande une réflexion sur la dépénalisation du cannabis. François Hollande et Jean-Marc Ayrault lui répondent sèchement que ce n’est pas à l’ordre du jour. Jean-François Copé demande sa démission. Il veut bien engager une réflexion sur la consommation des pains au chocolat pendant le Ramadan, mais pas sur le cannabis, qui détruit notre jeunesse, dit-il, ce n’est pas comme l’alcool et le tabac.

            Au Portugal, où le cannabis est dépénalisé, la consommation parmi les jeunes a chuté. En France, où la loi punit la consommation et la vente, la consommation augmente. Qu’importe. Vincent Peillon doit démissionner et Daniel Vaillant doit être puni.

            Quelle période d’histoire de l’humanité s’est-elle déroulée sans peur ? Sans angoisse ? Les gens avaient-ils plus peur en 1933 qu’aujourd’hui ?

            Des ministres de droite ont permis la distribution de seringues et la distribution médicale de produits de substitution, Jean-François Copé, la bouche pleine de son pain au chocolat criait-il  « Michèle Barzach démission ! » et « Simone Veil démission ! » dans la cour de récréation ?

            Si fouetter les peurs est le seul mode d’existence sociale et politique, si la peur est le seul mode d’appartenance à une commune humanité, nous n’aurons plus le choix qu’entre une droite d’épouvante et une gauche craintive. 

vendredi 12 octobre 2012

chiens renifleurs


13 octobre 2012 France Inter

Deux interviews. La première, d’Elisabeth Avril sur les salles de consommation à moindre risque, fondée sur des arguments de santé publique et de protection des quartiers. La deuxième, un proviseur d’un lycée des Landes a demandé à la police de visiter les classes avec un chien renifleur de drogues. La « visite » n’a rien donné. Six élèves dont les cartables avaient une odeur suspecte ont été interrogés.

Dans les pays où la réduction des risques est bien acceptée, où s’ouvrent des salles de consommation à moindre risque, , le nombre d'usagers est moindre que dans les pays où l’on envoie des chiens renifleurs dans les salles de classe.

Si l’objectif du proviseur était de montrer que dans son établissement les élèves ne consommaient pas de drogue, il est atteint. Les chiens renifleurs n’ont rien trouvé. Mais si l’objectif est de réduire la consommation des drogues parmi les jeunes scolaires, il devrait ouvrir dans son établissement une salle de consommation à moindre risque. 

mercredi 10 octobre 2012

couches populaires


    Comment surmonter cette discussion durable entre ceux qui accusent le PS de délaisser les couches populaires et ceux qui disent qu’il faut « les contourner ». Discussion qui se nourrit de sondages, de statistiques, de la sociologie des résultats électoraux.

     Cette discussion est un piège. La misère, l’exploitation, l’esclavage, réduisent la part d’humanité de ses victimes. Si la misère rendait beaux et intelligents, pourquoi faudrait-il la combattre ? Les mouvements sociaux peuvent se développer quand naissent d’autres visions de l’avenir que l’accablement du présent. Quand l’idée se propage qu’un autre monde, qu’une autre vie, est possible. Comment naissent et se développent ces visions d’avenir ? Dans la tradition marxiste, les théories libératrices ne pouvaient pas naître spontanément des prolétaires, elles devaient être apportées du dehors, par des révolutionnaires professionnels, des cadres et des intellectuels dont la formation était le premier objectif d’un parti communiste. Dans les mouvements sociaux paysans, les prêtres, les étudiants, les cadres militaires, les enseignants, les avocats, fournissaient un encadrement efficace et inventaient des sociétés différentes. Les mouvements nationaux ont aussi puisé dans les cadres religieux, militaires, étudiants, écrivains, pour construire une vision d’avenir sans laquelle l’enfermement dans le présent est inévitable. Le syndicalisme de l’Europe du Nord a été une puissante école de formation des cadres ouvriers.

    Sans visions d’avenir, il reste des ambitions individuelles, des carrières qui arrachent les individus à leur communauté sociale ou ethnique. Exil géographique, exil ethnique, exil social. En l’absence de projet collectif, les réussites individuelles assèchent une communauté sociale ou ethnique de ses éléments les plus entreprenants et ceux qui restent sont encore plus démunis d’avoir perdu des cadres potentiels. Les migrations du 19ème siècle témoignent de cet appauvrissement des campagnes que quittèrent les plus jeunes et les plus hardis.

     Ces cadres issus du peuple ouvrier ou paysan avaient un rôle d’entraînement, mais aussi de stagnation. Leur pouvoir dépendait de leur rareté. Le nombre devait être privé des outils de sa libération pour affermir le pouvoir des maîtres du jeu.

     Aujourd’hui, en Europe, les projets collectifs ne mobilisent plus. Il reste ici et là des séquelles qui ne sont pas sans importance, mais des séquelles. Des révolutionnaires héritiers du 19ème siècle qui veulent rejouer la prise de la Bastille et misent sur la spontanéité donc sur l’inculture pour conserver une influence. Des prophètes du nationalisme qui s’appuient sur les éléments les plus démunis socialement et intellectuellement. Des prophètes religieux qui tous disent, les uns et les autres : la société vous dit que vous n’êtes rien, mais vous êtes supérieurs aux autres par votre seule appartenance à une terre, ou à une tradition ou à une église.
Le PS  est mal armé pour lutter disputer le terrain aux prophètes. Il a contribué naguère à la chute des utopies meurtrières. Il conserve une certaine nostalgie des grands bouleversements. Mais il attire les compétences plus que les engagements. Justice sociale et finances vertueuses composent un ensemble tiède.  Pourtant, en observant le monde autour de nous, il est possible de distinguer des régimes dont la démocratie est absente, des théocraties, des oligarchies, des libéraux-communistes, des populo-castristes, des droites arrogantes. Dans l’ensemble, l’humanité se porte mieux, notamment les plus démunis, sous un gouvernement social-démocrate. En attendant de trouver un vaccin contre la misère, on réduit les risques. Les révolutionnaires fiévreux crient à la trahison et les sociaux-démocrates tissent des filets de sécurité,  investissent dans la recherche, misent sur les réformes.

     Peut mieux faire ? Certainement. S’intéresser aux « pauvres », aux couches populaires, c’est encourager les éléments les plus actifs et leur faire une place dans les partis, les élus, les administrations… Leur offrir des formations, des places. Ne pas cumuler les responsabilités dans tous les domaines contribue au fonctionnement de l’ascenseur social.

      « S’occuper des pauvres » ou des délaissés, c’est aussi s’intéresser à l’interface entre les services publics et les quartiers ou les individus à la dérive. S’intéresser aux couches populaires, c’est leur assurer un service public qui ne les méprise pas, des enseignants de qualité, des policiers compétents, des médecins capables. Si les plus démunis se trouvent en face d’aussi démunis qu’eux, ils se disent, bon, c’est comme ça, on nous envoie du personnel qui nous ressemble. Dans les interventions dans les favelas de Rio, les  policiers sont mieux payés et mieux formés. L’investissement prioritaire dans la formation des personnels d’éducation, de santé et de justice, loin d’être « clientéliste » est une contribution à la solidarité sociale.

            S’intéresser aux couches populaires, c’est miser sur leur intelligence, leurs capacités, leur invention, et dénoncer en permanence ceux qui leur tendent des miroirs aux alouettes. 

dimanche 30 septembre 2012

Famines


Yang Jisheng, stèles, la grande famine en chine 1958-1962, paris, Seuil, 2012.


Libé 29 sept 2012. Recension de  Philippe Grangereau

            La grande famine en Chine 58-62 : inégalée dans le monde par son ampleur, bouleversante par ses actes d’anthropophagie et hautement criminelles car les campagnes ont été délibérément affamées par Mao Zedong. « Si nous laissons tous les paysans manger à leur faim…nous ne pourrons pas nous industrialiser, nous devrons réduire l’armée et ne pourrons bâtir une défense nationale ».

            36 millions sont morts de faim. Plus meurtrière que la seconde guerre mondiale qui a fait entre quarante et cinquante millions de victimes en Europe en Asie et en Afrique, sur sept ou huit ans. En Chine 36 millions sont morts sur une période de trois à quatre ans. Au pire de la famine, en janvier et février 1959 il y avait des réserves de céréales. La population campait autour des greniers : donnez nous à manger ! Les empereurs ouvraient leurs réserves en cas de pénurie. La direction du PC montait la garde autour des greniers. Le cannibalisme et la nécrophagie sont attestés par des rapports de police. Pour faire accepter cette politique, la violence de la répression était extrême : tortures, exécutions sommaires…

            La grande famine se met en place en 1958. L’objectif était de rattraper la production d’acier de la Grande-Bretagne. La population érige des millions de petits hauts fourneaux. Tous les  ustensiles de cuisine et les outils agricoles sont fondus ; Pour rien. Le métal est inutilisable. En même temps la petite propriété paysanne est abolie, les villages transformés en « brigades de production », les terres et le bétail sont saisies par l’état. Les habitants, expulsés de leur maison étaient regroupés en casernes, hommes d’un côté, femmes et enfants de l’autre. L’objectif était de détruire la cellule familiale. La cuisine individuelle était interdite.

            La grande famine reste encore un tabou en Chine. Le livre de Yang Jisheng a été publié à Hong Kong. Mais interdit sur le continent chinois. Officiellement : trois années de « catastrophes naturelles ». Mao est intouchable. Les manuels scolaires : parlent de « difficultés économiques ». Attribuées à des « erreurs de gauche ».

            Ça se passait entre 1958 et 1962. Six ans plus tard, votre serviteur recevait à dîner Maria-Antonietta Macciocchi, auteur de « De la Chine » qui donnait le modèle chinois en exemple pour la construction du socialisme. Six ans plus tard, votre serviteur donnait des cours   sur la Grande Famine en Irlande, dans les années 1840, la comparait à d’autres famines européennes ou africaines, mais pas à la famine en Ukraine des années 1930 ou en Chine du Grand Bond en avant.