dimanche 12 septembre 2010

castro

Dans Cuba socialiste, dans Cuba de Fidel Castro, les homosexuels étaient considérés comme contre-révolutionnaires et envoyés dans des camps de rééducation. Dans un entretien au journal mexicain La Jornada (Le monde, 3 septembre 2010), Fidel Castro reconnaît ce fait et sa responsabilité. Au beau milieu de la crise des missiles, Fidel était pris par la politique. "échapper à la CIA qui achetait tellement de traîtres, parfois parmi nos proches, n'était pas une chose facile". Grâce à Mario Castro, la situation s'est améliorée. Mario Castro est la fille de Raul Castro, la nièce de Fidel.

Grâce au liquide-vaisselle concentré, une petite goutte permet de laver des piles d'assiettes. Ici nous avons du concentré d'information, une petite goutte fait bouillonner la réflexion. D'une part, les homos étaient envoyés dans des camps de rééducation, on le savait. Fidel Castro le reconnaît, mais quand même, la situation était tendue, et la CIA active. Faut-il entendre que les homos étaient des traîtres en puissance? Il faut l'entendre. Parce que dans les années cinquante, dans le PCF dont j'étais membre, on disait des homosexuels, bon, il ne fallait pas les fusiller, mais quand même, étant donné leur "déviation", ils pouvaient être arrêtés et la police pouvaient les utiliser comme traîtres et infiltrés. Nous étions castristes.
D'autre part, pour que les choses changent, inutile de créer des associations, de manifester, de voter, de protester. Il faut convaincre la nièce du dictateur, elle saura faire bouger les choses.

Mais direz-vous, la démocratie, c'est un luxe de riches. Erreur. Les migrants, pas les plus riches, qui sont d'une grande sensibilité sociale et politique, ne vont jamais assiéger les ambassades de Fidel Castro, d'Hugo Chavez, d'Ahmadinajad, de Kim Jong Il, de Poutine. Ils choisissent toujours les pays démocratiques comme lieux d'arrivée. Demandez-leur pourquoi.

mercredi 8 septembre 2010

paul Noirot est mort

Paul Noirot jeudi 9 septembre 2010

Dans le paysage politique des années 1970, Paul Noirot a été une borne lumineuse. C'est ce témoignage que je veux porter en guise de condoléances à sa famille, à ses proches. Les militants communistes qui rompaient avec leur parti, qui rompaient avec le communisme même, se retrouvaient comme des demi-soldes de la révolution. Pour ceux qui étaient leurs adversaires, ils restaient d' anciens communistes. Pour l'administration communiste, ils étaient des traîtres, des fuyards, ou pire, des repentis. Pour nous qui avons à des périodes différentes franchi le pas, nous quittions une immense excitation, qui consistait chaque jour à faire la révolution, et une une immense fraternité, pour se retrouver dans le vide.
Parmi les militants intellectuels, certains avaient la chance ou le privilège de se placer sous la protection des institutions. Elles ne remplissaient pas le vide. Pour ceux d'entre nous qui étaient des journalistes bénévoles ou salariés, les débouchés étaient rares. La presse communiste nous était désormais fermée, mais les autres moyens d'information ne se précipitaient pour nous accueillir. Le PCF même affaibli restait une force avec laquelle il fallait compter et beaucoup ne voulaient pas se fâcher en permettant que s'expriment chez eux des personnes que la direction avait excommuniés.
Paul n'était pas du genre geignard. Il n'y avait plus de lieu pour écrire, il les créa. Politique aujourd'hui, Politique hebdo. Des lieux où se rencontraient des personnes, des idées, des projets. Nous qui avions le sentiment qu'on voulait nous faire taire, qu'on ne voulait pas nous entendre, nous avons pu à nouveau écrire, parler, être imprimés, corriger des épreuves, sentir l'odeur du papier, protester contre des coupes, provoquer des approbations ou des critiques. Nous retrouvions un ancrage.
Quand Paul Noirot a été exclu du PCF et qu'il a lancé Politique aujourd'hui, il recueillit l'appui de nombreux intellectuels membres du PCF. La direction communiste lança une campagne d'exclusion et d'intimidation: il fallait choisir entre participer à la revue de Paul et l'appartenance au Parti communiste. J'étais alors membre responsable du PCF à la fédération de Paris et à ce titre, j'ai participé à cette campagne d'exclusion et d'intimidation. Je tenais à jour la liste des délinquants et chaque fois qu'un nom se retirait, on me félicitait, chaque fois qu'un nom restait, on me pressait d'intervenir à nouveau. Quand vint mon tour d'être intimidé, puis exclu, j'ai trouvé grâce à Paul, qui connaissait tout ça, des lieux où je pouvais écrire. Bien sûr, il y a très longtemps, mais il ne faut pas confondre amnistie et amnésie.
L'histoire se fait avec des hommes qui font des choix. Paul Noirot a été un acteur de cette histoire et les choix qu'il a faits méritent le respect. Tous ceux qui ont partagé sa vie et ses aventures continueront d'en témoigner.

dimanche 5 septembre 2010

tours angers

Tours-Angers août-septembre 2010

J'ai eu beaucoup de mal à intégrer le nom de la ville d'Angers, terme de ce périple. J'ai persisté jusqu'au bout, jusqu'au dernier jour, à dire "Agen" au lieu d'Angers. Ce qui irritait, à juste titre, ma co-randonneuse. Bien sûr, entre Angers et Agen, on a le droit de tromper. Mais pas de se tromper tout le temps. Au point où en arrivant à Angers, je me suis arrêté pour demander le centre de la ville et j'ai demandé à deux messieurs qui manifestement étaient commerçant à Angers où était le centre d'Agen et ils m'ont répondu qu'ils ne savaient pas, parce qu'ils étaient d'Angers. Ma co-randonneuse était irritée parce qu'elle était certaine que je le faisais exprès alors que pas du tout. Elle n'aimait pas me dit-elle qu'on se foute de la gueule des gens comme ça, j'aurais pu répondre que moi non plus je n'aimais pas qu'on se fiche de la gueule d'Agen, mais j'ai senti que ce n'était pas le moment. Attention danger, pas d'Agen.
Je connais l'origine de cette erreur. Pendant toute une vie parentale, j'ai utilisé l'expression "prunauda" quand l'un des enfants pleurnichait à la suite d'une chute, d'un cou, d'un bobo. Pourquoi prunauda? Parce que pruneau d'Agen. Faut-il expliquer? Bien sûr que non. En choisissant l'itinéraire le long de la Loire de Tours à Angers, je me persuadais que j'allais enfin acheter des pruneaux à Agen. J'en étais certain. On peut se tromper, non? Et quand nous sommes arrivés à proximité d'Angers, j'ai commencé à dire que nous allions acheter des pruneaux, ma co-randonneuse n'a pas compris. Quand elle avait mal et qu'elle se plaignait, je lui disais encore récemment, pruneauda, parce que… Mais pas pruneau d'Angers, ça n'a aucun sens. Bref, à cause de ça, il y eut sur la côte de l'Ardoisière une certaine tension accentuée par une montée cagnardeuse.
Sinon, rien. On était bien. Le temps: du soleil, mais pas trop chaud. Entre 18 le matin et 25 au plus fort. Les pistes bien entretenues. Bien balisées. Un peu de vent, juste pour dire que le vent fatigue. Les hôtels deux étoiles confortables, les hôteliers aimables, les lits à point, le petit déjeuner varié. Les restaurants abordables, cuisine angevine. Pas d'incident, donc. Si: cet épisode relaté plus haut, sur Angers et Agen, rien du tout.
Si tout se passe bien, il n'y a plus rien à raconter. Ou à dresser la liste des monuments que nous avons vus ou visités: La cathédrale Saint-Gratien à Tours, les jardins de Villandry, nous avons heureusement évité le château d'Azay le Rideau, le château d'Ussé, le château de la belle au bois dormant, le superbe château de Chinon que nous avons visité, le château de Montsoreau rendu célèbre par Alexandre Dumas, l'abbaye de Fontevraud, à laquelle nous avons renoncé, les village troglodytes, les caves vinicoles, le château d'Angers avec sa tapisserie sur l'Apocalypse qu'on vient visiter du monde entier. Un chemin d'ardoise. Nous tenons à qui le demandera quelques dizaines de photos de toutes ces merveilles avec ma co-randonneuse ou moi comme premier plan. Vers sept heures, nous prenions un Martini sur la place principale en lisant la presse du jour quand nous avions pu nous la procurer, parce que question de journaux, il faut se lever de bonne heure.
Les vélos étaient confortables, avec sacoches, une chambre à air de secours, un gilet fluorescent, des casques de protection, une bombe d'urgence en cas de crevaison, des clés nécessaires pour démonter et remonter les roues. A Chinon, l'ascenseur pour visiter la forteresse était gratuit. Les films du soir étaient moyens, sans plus.
Tout ça pour dire ce que tout le monde sait déjà, que le bonheur est emmerdant et qu'il faut des incidents pour corser, pour pimenter, un récit. Tenez, même la traversée d'un bras d'eau en bac à chaîne, vous vous rappelez la scène du Marais Poitevin? Ici, le même bac, la même chaîne, nous tirons nonchalamment le bas qui vient doucement à nous, nous montons les vélos, nous tirons l'autre chaîne et glissons légèrement sur l'eau plane, et à quoi parler d'une scène sans sel?
Allons, ne te décourage pas. En cherchant bien, tu ne trouveras rien? Mais non, rien. Des broutilles, sans intérêt. Il y eut bien le jour où nous avons commandé un Martini rouge et le garçon nous apporte deux Martinis blancs. A l'échelle de la planète, rien, mais sur le coup, une certaine indignation nous gonfla la poitrine. Et entre les cyclistes? Pareil. Beau fixe. Bon, si on cherche, on trouvera des coups de fil de l'extérieur, mais peut-on les insérer dans le récit d'une randonnée? Des crises de famille, des amis âgés qui meurent, on l'attendait, mais on ne savait pas la date exacte, ça fait toujours un choc. Une réunion reportée. Des coups de fil qu'on attend et qui ne viennent pas. La perspective d'impôts supplémentaires. Le nombre de chômeurs augmente. La délinquance grimpe en flèche. Les tensions politiques et sociales s'accentuent. Les attentats en Irak et au Pakistan se multiplient. La planète est en danger. Mais toutes ces terribles nouvelles arrivent sur les chemins de randonnée en ayant perdu leur puissance dramatique, comme la vague la plus haute se retrouve clapotis sur le sable.
Pourtant, quelques amis attendent notre récit. Je ne vais pas les décevoir. Quand nous partons en randonnée, nous savons bien qu'en fait partie, comme une étape supplémentaire, comme la dernière étape, en fait partie le récit. Sans récit, sans cette dernière étape, pas de randonnée. Un événement sans archives, sans griffure sur la roche du temps. Que même les randonneurs auront oublié. Alors que le récit donne réalité. La seule réalité. Tout le reste a disparu. Par exemple les crampes.
Le premier jour, les crampes arrivent la nuit. Nous ne sommes pas assez entraînés pour les faire disparaître. Il faudrait tous jours faire nos trente kilomètres, mais c'est impossible. Au-delà de vingt-cinq kilomètres, ce n'est plus de l'entraînement, c'est déjà une randonnée, avec co-randonneuse, trousse de secours, chambre d'urgence, outils de succion, pinces exploratoires et bière à l'arrivée. Si je dépasse les Vingt-cinq kilomètres, si je les raconte, cette balade devient une randonnée et on ne peut pas, enfin ni moi ni ma co-randonneuse, passer notre vie à randonner. Passer notre vie six jours par semaine à randonner, et le septième jour écrire le récit de notre randonnée. Ce n'est plus une vie. Il y a aussi d'autres impératifs, dont l'absence de récit n'affaiblit pas l'urgence. Comme nous ne pouvons pas nous entraîner suffisamment, le manque d'entraînement aboutit toujours la première journée aux crampes. Une crampe est une crispation musculaire extrêmement douloureuse, qui arrive au moment du repos, quand on va s'assoupir, quand l'attention se relâche, alors arrive les crampes. On se lève pour marcher de long en large, sur du carrelage de préférence, on boit de l'eau, on gémit, puis ça passe, on la supporte parce qu'on sait qu'elle finit par passer, on se recouche et on s'endort. Une crampe fait mal, sans dec. Ça fait même très mal, non, sérieux, sur ma mère. Les crampes, à la différence du taux de chômage ou du réchauffement de la planète ou des voleurs d'enfants qu'on renvoie chez les vampires des Carpates, font partie de la randonnée. Elles existent parce que j'en parle ici et leur seule réalité désormais est le récit que j'en fais. Si je n'en parlais pas, si ma co-randonneuse, qui n'est pas prunauda, n'en parlait pas non plus, elles disparaîtraient dans le grenier de la mémoire. Grâce au récit, elles poursuivent leur chemin de bourreau des innocents.
La sciatique aussi fait partie de la randonnée. Désormais. Une sciatique, c'est un nerf important qui se trouve pincée par une vertèbre usée et dont le réchauffement provoque des douleurs quand on marche, ou quand on fait certains mouvements. Quand je marche, j'ai mal. Quand je fais du vélo, je n'ai pas mal. Si je n'ai pas mal en faisant du vélo, cette absence de douleur peut-elle faire partie du récit, parce que si on se met à raconter toutes les absences, on n'a pas fini. Mais l'absence de douleur n'annihile pas la sciatique. D'abord, il faut un moment ou à un autre mettre pied à terre. Ensuite, on visite les châteaux, les abbayes, les zones piétonnes, les cathédrales, les jardins à la française, les maisons troglodytes, les caves à vins, les musées, les tapisseries d'Angers, à pied, et la douleur revient. C'est une première raisons pour intégrer la sciatique à la randonnée. Une seconde, plus technique. Le mouvement du cycliste mâle, cet élégant mouvement, qui consiste à poser le pied gauche sur une pédale à mi-hauteur, appuyer sur la pédale et lancer la jambe droite par-dessus la selle pour se lancer museau au vent, ce mouvement qui a fait la joie des mes années d'adolescence, que je répétais devant les filles pour leur montrer que j'étais un garçon et que le cadre de mon vélo le prouvait autant que la courbure de leur vélo indiquait le sexe de celles dont j'essayais par ce large lancer-jeter, d'attirer l'attention et peut-être l'admiration. Avec la sciatique, je n'utilise plus que des vélos dits de femmes, je ne lance plus la jambe gauche, je monte le vélo comme si j'étais une femme, comme si je portais une jupe, je lève ma jambe droite à mi-hauteur et je démarre. Allez attirer l'attention ou l'admiration dans ces conditions. Il faut trouver d'autres moyens pour compenser. Les outils du vélo fourni par la bicyclette verte s'enferment dans une pochette de plastique noire triangulaire qu'on pose au bas de la fourche de la bicyclette pour femmes. Cette pochette ajoute de l'altitude à franchir et j'ai du la décrocher pour que mes démarrages conservent leur élégance. En ce sens, oui, la sciatique fait partie du récit. Mes autres douleurs n'ont rien à voir avec la bicyclette.
Les contraintes sont connues. Il faut raconter la randonnée. Il faut dire la vérité. Il ne faut rien inventer. Sinon, c'est de la triche. Je pourrais dire que je suis tombé dans un fossé, mais ce n'est pas vrai et quel intérêt à raconter des balivernes? Pour tromper qui? Avec le temps et l'expérience accumulée, il est certain que les randonnées seront de plus en réussies, de plus en plus confortables et donc ennuyeuses à mourir à raconter. Oh, bien sûr, quand nous sommes dans la randonnée, c'est agréable de parcourir des pistes bétonnées, de ne jamais se perdre grâce aux indications serviables, de ne pas crever, de jouir du temps propice, mais comme la randonnée se termine par la dernière étape qui en est le récit, il faut bien avouer que le plaisir d'une randonnée réussie est gâchée par l'idée que le récit sera d'autant plus ennuyeux que la randonnée sera réussie, agréable, stimulante culturellement sans parler des paysages, vous ai-je dit qu'à certains endroits la Loire se réduit à un mince filet d'eau qu'on peut traverser à pied, on a même pris deux ou trois photos. Ma co-randonneuse. Pas on. C'est elle qui a pris les photos. La randonnée en Italie fut une série d'épreuves désagréables, mais le récit qui en est sorti est un petit bijou. Il faut choisir.
J'ai la solution. Pour les prochaines randonnées, nous commencerons par la dernière étape, celle du récit. Nous imaginerons des aventures insensées, des rencontres avec des bandits, le croisement d'un groupe d'universitaires maltais en séjour linguistique, des vipères dans la sacoche, des gîtes inconfortables, des pistes caillouteuses, la traversée de rivières en crue, la souffrance dans la chaleur qui cuit, des auberges rouges, des musées fermés en septembre, des batteries d'appareil photo déchargées au moment où l'hélicoptère s'écrase dans une mare. Et ensuite, en tapant le récit sur internet, nous essaierons d'obtenir les itinéraires qui correspondent, et nous l'obtiendrons car avec internet, on obtient tout. Nous partirons alors et si tout se passe comme prévu, le récit aura pris forme, à la différence des autres randonnées, où ce sont les aventures qui prennent forme avec le récit, mais pourquoi le récit n'aurait-il pas ce privilège? Pourquoi n'éprouverait-il pas à son tour les délices de la transformation créatrice?